Le super-pouvoir de trouver ses mots

Trouver ses mots… ça a l’air simple, et pourtant ! Derrière chaque phrase se cache un véritable marathon cérébral. Pas étonnant qu’après une soutenance de thèse ou une longue réunion on soit aussi fatigué qu’après une séance de sport (mais sans les abdos).

Quand tout roule : la magie du langage sans pathologie

Chaque fois que nous parlons, notre cerveau orchestre une symphonie : les aires du langage – principalement l’aire de Broca et l’aire de Wernicke – planifient et choisissent les mots (Indefrey, 2011). La mémoire lexicale (notre « dictionnaire intérieur ») repose surtout sur des réseaux du lobe temporal gauche, incluant les régions temporales moyenne et inférieure, en interaction avec le cortex frontal (FRC Neurodon ; Cairn – Neuropsychologie du sens). Le cervelet et le cortex moteur coordonnent enfin l’articulation : lèvres, langue, cordes vocales, respiration.

Ce processus est ultra-rapide : il faut environ 600 millisecondes entre l’idée et le mot prononcé (Levelt et al., 1999).

Comment l’accès aux mots se développe-t-il ? L’enfant augmente vite son vocabulaire : entre 2 et 6 ans, on observe une forte progression des mots produits (langage expressif) et des mots compris (langage réceptif). L’enfant peut dire environ 1000 mots de plus par an (Bates et al., 1994) ! Chez l’adulte, le lexique continue de s’enrichir, mais la vitesse d’accès peut diminuer avec l’âge (Shafto et al., 2007).

Cela change-t-il selon les langues ? Les langues diffèrent par la vitesse de syllabes et la densité d’information : au final, malgré des débits d’énonciation variés (par exemple le japonais est plus rapide, et le vietnamien plus dense), le débit d’information transmis tend à s’équilibrer entre langues (CNRS, 2019). Autrement dit, parler plus vite ne signifie pas forcément accéder plus vite aux mots : l’architecture de la langue compense.

Les gestes aident-ils à trouver les mots ? La réponse est oui ! Voir et surtout produire des gestes facilite l’apprentissage et la récupération lexicale : les gestes activent des réseaux sensorimoteurs, soutiennent la mémorisation et l’accès au mot cible (Holt, 2020 (synthèse incluant Macedonia et al., 2019) ; Stam, 2008).

Et parler vite, ça aide ? Non, car la vitesse de parole n’influence pas la capacité d’accès au lexique. Le débit dépend de multiples facteurs (attention, charge mentale, contexte). On peut parler vite et buter (surcharge), ou parler plus lentement et accéder très efficacement au lexique. En pratique, des mesures comme la fluence verbale informent mieux sur l’accès lexical que le seul débit (Wathlet, 2023 ; CRIUGM – Fluences).

Et chez l’enfant bilingue ?

L’enfant bilingue construit deux lexiques interconnectés : cela peut légèrement ralentir l’accès à un mot précis dans une langue donnée, mais la flexibilité exécutive est souvent meilleure (inhibition, alternance) – un atout durable (Enfance, 2021 ; Bialystok/Ullman). Chez les tout-petits, des études contrôlent l’accès lexical et le vocabulaire réceptif/expressif pour comparer précisément mono- et bilingues (Poulin-Dubois et al., 2012).

Poulin-Dubois ont montré que les enfants bilingues de 2 ans disent un peu moins de mots dans chaque langue que les monolingues, mais si l’on additionne les deux langues, leur vocabulaire est équivalent. Et surtout, ils comprennent aussi bien et aussi vite que les monolingues. Plus étonnant encore : lorsqu’un enfant connaît deux mots pour un même concept (chien/dog), il accède souvent plus rapidement au mot. Autrement dit, jongler entre deux langues ne ralentit pas, cela peut même faciliter la fluidité d’accès au lexique.

Pourquoi bébé ne parle pas avant environ 2 ans ?

Le cerveau doit maturer : après 12 mois, compréhension et production progressent vite ; entre 18 mois et 2 ans, les combinaisons de mots apparaissent, puis les phrases courtes (2–3 ans) (Naître & Grandir ; 1000 Premiers Jours). La règle générale reste : la compréhension précède l’expression de plusieurs mois, et cet écart est bien documenté au-delà de 12 mois chez l’enfant et, chez l’adulte, dans certaines tâches de traitement de la parole (La maîtrise du langage – PUR).

Disfluences normales et bégaiement transitoire (2–5 ans) : de nombreux enfants traversent une phase de répétitions/hésitations liée au boom langagier qui a lieu vers deux ans. La majorité récupère spontanément (estimations 75–90 %) (OOAQ).

Quand trouver ses mots devient un casse-tête

« Mot sur le bout de la langue ». En stress, l’amygdale s’active et « prend la main », diminuant le contrôle préfrontal utile au ciblage du bon mot ; les hormones du stress comme le cortisol modifient transitoirement l’attention et la mémoire de travail, d’où plus de mots sur le bout de la langue (CNRS INSB, 2025). C’est anodin si c’est occasionnel, favorisé par la fatigue/le bruit/le stress, et si tout rentre dans l’ordre ensuite. On consulte si : gêne croissante, mots très fréquents qui « échappent » régulièrement, retentissement social, ou autres troubles (compréhension, gestes, mémoire).

Troubles des apprentissages : des difficultés d’accès au lexique peuvent accompagner les troubles du langage oral et la dyslexie, avec retentissement sur la lecture (Wolf & Bowers, 1999).

Bégaiement : chez l’adulte, une partie des personnes bègues rapportent un accès lexical plus coûteux ; chez l’enfant, ce lien est inconstant (contexte, sévérité) (Teitler-Brejon, 2000 ; revue).

Vieillissement et maladies neurodégénératives : les noms propres et les mots rares sont plus difficiles d’accès dans les atteintes mnésiques ; des profils spécifiques existent (par exemple dans la démence sémantique : perte du sens) (Sciences & Avenir).

Troubles neurologiques acquis. Dans l’aphasie de Broca, le patient a un discours ralenti et laborieux alors que dans l’aphasie de Wernicke la parole est fluente mais inadaptée. Dans les deux cas, trouver les mots justes est ardu. Et le langage intérieur (endophasie) ? Il n’est pas toujours intact. Des travaux montrent qu’il peut être altéré ou au contraire mobilisable de façon thérapeutique (entraînement du langage intérieur pour l’anomie) (Revue de neuropsychologie, 2024 ; CNRS SHS – Parole intérieure). Parfois, un bégaiement peut survenir après un AVC ou un traumatisme, parfois avec d’autres signes (attention, coordination). La prévalence post-AVC est faible mais documentée (Traité de neurolinguistique, 2023).

Les astuces pour retrouver ses mots plus facilement

L’orthophoniste peut aider le patient à employer des stratégies compensatoires : décrire au lieu de nommer, gestes iconiques, synonymes, première lettre + catégorie, carnet de mots-clés, supports photo. Les familles aident en posant des questions fermées, en laissant du temps, en évitant de parler à la place, et en valorisant le message plutôt que la perfection formelle (Guide MSSS).

Voici quelques conseils à appliquer pour trouver plus facilement ses mots :

1) Muscler les fonctions exécutives. L’attention focalise la recherche du mot ; l’inhibition empêche les intrus (mots concurrents) de s’imposer ; la mémoire de travail maintient l’idée pendant la recherche. On entraîne ces piliers via des jeux de fluence (catégories, lettres), des tâches de changement de règle (type « plus/moins », Trail Making Test), lectures avec résumés, « récap’ » à voix haute, et routines d’auto-indices (catégorie, première lettre, rime) (Miyake et al., 2000 – synthèse ; UNIGE – Fonctions exécutives & langage).

2) Geste + mot. Accompagner le mot d’un geste iconique (forme, action) augmente la mémorisation et l’évocation, même en simple exposition – et davantage quand on imite (Holt, 2020).

3) Bouger pour débloquer. La marche augmente la créativité verbale (production d’idées originales) et peut « décoincer » l’accès lexical : testez la réunion en marchant ou deux minutes de déambulation avant de parler (Oppezzo & Schwartz, Stanford, 2014 ; revue sur effets de l’exercice sur attention/traitement : Audiffren, 2011). Audiffren montre que l’exercice physique, même modéré, améliore l’attention, la vigilance et certaines fonctions exécutives impliquées dans le langage. Conclusion : activer son corps, c’est aussi activer son cerveau, et donc faciliter l’accès aux mots.

4) Créer, c’est mémoriser. L’écriture (journal, listes à thèmes), le chant et le théâtre associent émotion, rythme et mots : on encode mieux, on récupère mieux les mots (la thérapie d’intonation mélodique s’appuie d’ailleurs sur le chant en aphasie) (Flint Rehab – vulgarisation).

5) Hygiène cognitive : sommeil, pauses, limiter le multitâche, environnement calme. Les mots fléchés et la lecture restent des classiques… qui marchent. Vous pouvez d’ailleurs vous exercer avec le jeu en ligne gratuit La forêt des lettres !



Stress, anxiété, burn-out : pourquoi ça bloque ?

Le stress aigu focalise l’attention sur la menace (amygdale), utile mais coûteux pour la recherche de mots. Le stress chronique/burn-out déséquilibre durablement les circuits (amygdale ↔ cortex préfrontal) et la régulation hormonale (cortisol), réduisant attention, mémoire de travail et inhibition : les « trous » se multiplient. On dédramatise (la perte de mots reste fréquente) mais on installe de bonnes habitudes : respiration avec la cohérence cardiaque (inspirer 4 secondes et expirer 6 secondes), pauses de récupération, organisation de la prise de parole (mots-clés, plan en 3 points…), hygiène de sommeil et activité physique (FRC – Le stress).

Parlez, soyez bavards !

Plus on parle, plus il est facile de trouver ses mots. L’usage fréquent du langage agit comme un entraînement : il entretient les réseaux lexicaux et les fonctions exécutives qui servent à sélectionner le mot juste. Une étude de Ramscar et al. (2014) a montré que la pratique du langage au quotidien aide à maintenir la rapidité d’accès au lexique, même avec l’âge, malgré l’augmentation du nombre total de mots connus.

En clair : plus on utilise ses mots, plus le cerveau garde les circuits lexicaux « huilés ». La parole, c’est comme un muscle : moins on l’utilise, plus il s’ankylose ; plus on le fait travailler, plus il reste souple.

Un dernier mot…

Trouver ses mots, c’est un peu comme chercher ses clés : la plupart du temps ça marche très bien, mais parfois il faut tourner en rond, vérifier sous le canapé et appeler un ami à la rescousse.

Heureusement, contrairement aux clés, les mots ne tombent jamais dans les caniveaux. Ils attendent juste qu’on leur tende la main… ou qu’un orthophoniste vienne les déloger avec patience et science.

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