Les 7 clés du bonheur

 

Dans la recherche du bonheur, la relation à l’autre a toute sa place. Ce qui nous plaît dans la philosophie, c’est que les thèmes du bonheur et d’autrui y sont mêlés et même omniprésents. Les Propos sur le bonheur d’Alain (1868-1951) résonnent à ce sujet de manière vivante : je vous laisse y puiser ce qui pourra vous inspirer.

 

Devenir un ami pour soi-même

 

Alain est profondément en accord avec le point de vue des stoïciens. Le passé et le futur n’existent pas pour nous : seul le présent possède une existence réelle. « Le passé et l’avenir n’existent que lorsque nous y pensons ; ce sont des opinions, non des faits » (chap. 53). Cette prise de conscience constitue une grande force à laquelle nous pouvons puiser pour nous libérer de ce qui nous empêche d’être heureux.

Les gens qui ressassent leurs trahisons, leurs échecs, leurs déceptions sont les plus malheureux. Il se font très mal à eux-mêmes. « Un homme n’a guère d’autres ennemis que lui-même » (chap. 27) « Si vous aviez un ami, et s’il se plaignait amèrement de toute chose, vous essaieriez sans doute de le calmer et de lui faire voir le monde sous un autre aspect. Pourquoi ne serez-vous pas un précieux ami pour vous-même ? » (chap. 18)

Pour être heureux, il faudrait commencer par décider de ne pas se plaindre de tout. C’est d’autant plus difficile que nous sommes influencés par les autres : la tristesse est contagieuse. « Le visage d’autrui est diablement expressif, et arrive à éveiller des tristesses que les choses me faisaient oublier. Nous ne sommes égoïstes qu’en société, par le choc des individus, par la réponse de l’un à l’autre, réponse de la bouche, réponse des yeux ».

Nous devons apprendre à reconnaître la part de notre entourage dans la constitution de notre propre humeur. Ainsi nous éviterons d’amplifier un sentiment de morosité qui nous habite. Nous deviendrons plus actifs, moins dépendants d’autrui, dans la construction de notre humeur. A nous d’agir pour que le bonheur ne dépende que de nous, de notre ami intérieur : essayons de nous tourner les choses positives de notre existence, allons vers ce qui nous rend vivants.

 

Rendons heureux les autres : ne les prenons pas en pitié

 

Alain explique que la pitié est néfaste pour autrui. C’est une sollicitude mêlée de tristesse envers une personne que l’on juge défavorisée ou malchanceuse. Cette fausse bonté crée une image dévalorisante de la personne envers qui elle est destinée. La pitié passe par les canaux de communication verbaux et non verbaux. « Il faut voir comment une femme sensible parle à un homme amaigri et qui passe pour tuberculeux. Le regard mouillé, le son de la voix, les choses qu’on lui dit, tout condamne clairement ce pauvre homme » (chap. 17).

Il est souvent difficile de savoir comment se comporter face aux personnes fragilisées par la vie, face aux personnes malades en particulier. Alain donne une solution magnifique : « Il faudrait n’être pas triste, il faudrait espérer ; on ne donne aux gens que l’espoir que l’on a ». Au lieu de détériorer sans le vouloir la valeur de la vie chez les personnes que nous jugeons fragiles, ou malchanceuses, nous devons partager avec elles notre espoir, notre joie de vivre, notre confiance en la vie.

 

 

Moins souffrir : replacer la souffrance d’autrui à sa juste place

 

Nous avons peut-être souvent pensé : « Comment est-il possible d’ être heureux alors que des gens souffrent autour de moi ? » L’idée que nous nous faisons du « malheur » des autres est pourtant le plus souvent erronée, selon Alain. Notre imagination a toujours tendance à exagérer les maux d’autrui. Par exemple, les personnes qui subissent des catastrophes naturelles souffrent moins qu’on ne le pense sur le moment, car elles n’ont en réalité pas le temps de penser ; elles doivent agir dans l’urgence pour sauver leur vie. Elles n’ont pas le temps d’anticiper leurs souffrances, car les nécessités vitales prennent le pas sur tout le reste.

La souffrance vient du jugement sur la vie d’autrui, de l’absence d’acceptation de ce qui est. « On souffre de retrouver un vieillard revenu à l’enfance, ou un ivrogne hébété » (…). On souffre parce que l’on veut qu’ils soient en même temps ce qu’ils sont et ce qu’ils ne sont plus. » Ce sont les bien-portants qui souffrent le plus car ils comparent en imagination ce qu’était la personne avant et ce qu’elle est devenue après sa maladie. C’est pourquoi « on peut être plus sensible aux maux d’autrui qu’à ses propres maux » (chap. 9). Mais il s’agit là d’un jugement sur une réalité que l’on imagine pire que celle que vit probablement la personne concernée par la maladie. Ainsi, à la place du jugement (fausse croyance), privilégions l’observation objective, l’acceptation de la réalité sans la déformer, et l’écoute d’autrui.

 

 

Sois en paix avec toi-même

 

Pour parvenir au bonheur, chaque personne doit apprendre à être en paix avec elle-même. Alain insiste à de nombreuses reprises sur l’importance d’apaiser la colère que l’on porte en soi. « Chacun est roi de soi-même et des tempêtes pour sa part. Pouvoir immense, que la masse des citoyens doit apprendre à exercer. » La pleine conscience ainsi que la communication non violente qui se répandent partout (école, travail, médecine…) auraient certainement beaucoup plu à ce philosophe. La pleine conscience est une pratique de méditation laïque qui vise à se détacher de ses émotions en les observant tout simplement. Peu à peu, les émotions ne nous détruisent plus, même si elles continuent d’être simplement présentes en nous. « Un des secrets du bonheur, c’est d’être indifférent à sa propre humeur » dit Alain. Par indifférent, il faut entendre ne pas s’accrocher à sa propre humeur, au jugement que l’on porte sur ses émotions, car c’est ce jugement qui nous rend prisonniers de nos émotions.

Pouvoir observer calmement les tempêtes d’émotions qui nous agitent, voilà une des clés les plus puissantes du bonheur.

 

 

Les gestes de politesse au service du bonheur

 

Plus nous sommes proches de quelqu’un, plus nous avons tendance à lui montrer notre véritable « humeur », et à nous passer de la « politesse » que l’on réserve d’ordinaire aux personnes qui nous sont étrangères ou indifférentes. Or, notre véritable humeur est hélas le plus souvent de la « mauvaise humeur », de la mauvaise foi, de l’irritation… On oublie d’être polis avec nos proches car on se laisse plus facilement porter par le flot de nos pensées, par le ressassement des pensées… Alain conseille de se forcer à sourire pour chasser la mauvaise humeur. De même, nous pouvons penser à faire certains gestes pour faire bifurquer le cours automatique des pensées négatives : bâiller, hausser les épaules. Alors que nous n’avons pas le pouvoir de changer nos pensées par la pensée (les émotions et langage intérieur ne font que renforcer les pensées automatiques), « nos muscles moteurs sont la seule partie de nous-mêmes sur laquelle nous ayons prise ». Alors, utilisons ces muscles, bougeons notre corps ! Le bonheur est avant toute chose une question de gestes. La pensée suivra d’elle-même.

En outre, Alain explique pourquoi la timidité est une impolitesse. La personne timide se contient, se ferme à ce qu’elle voudrait être pleinement et son interlocuteur en ressent un malaise, car ce dernier perçoit le décalage entre ce qu’exprime la personne timide et ce qu’elle est vraiment. L’affirmation de soi, qui consiste à savoir s’exprimer sans malaise, sans blesser ni effrayer autrui, est une marque de savoir-vivre. Savoir cela constitue une bonne motivation pour travailler à être moins timide.

 

 

Nous devons donc être les premiers à esquisser un sourire, à se disposer à accueillir autrui avec bienveillance, pour lui permettre à son tour d’être bienveillant envers nous. « Qui manie avec précaution l’humeur de l’interlocuteur est médecin de la sienne propre par ce moyen ; car, dans la conversation ainsi que dans la danse, chacun est le miroir de l’autre » (chap. 71).

Le souci d’autrui est ainsi la meilleure source de motivation pour cultiver les gestes qui nous rendent heureux, chassent les pensées négatives, nous rendent moins timides, et suscitent la bienveillance envers nous-mêmes.



Agir et créer pour être heureux

 

Pour se délivrer des pensées négatives et de l’humeur maussade, la pensée recroquevillée sur soi-même et l’ennui doivent être évités. L’être humain a besoin de vivre en se projetant dans le monde, non de s’intéresser uniquement à lui-même et ses petits « maux d’estomac ». Les pensées négatives, la mauvaise humeur, l’ennui, les guerres viennent rapidement si l’homme n’agit pas de manière créative dans le monde. La pensée autocentrée est un ennemi du bonheur et de la paix dans le monde (rien que ça !).

Tous nos maux nous viennent de nos jugements sur les choses et sur nous-mêmes : nous nous perdons en conjectures, nous ruminons des pensées, mais nous n’agissons pas. En naît un sentiment de tristesse. Or, ce que l’on pense à l’intérieur de nous n’a pas d’existence concrète au-dehors. Le fait d’agir dans le monde, avec les autres, est le meilleur moyen d’accéder au bonheur. Ce n’est pas la récompense promise ou espérée qui nous procurera un sentiment de joie, mais bel et bien le travail concret que nous faisons. C’est là que nous pouvons sentir notre puissance de vie. Une condition toutefois : l’action que nous réalisons ne doit pas être mécanique, sinon le bonheur ne sera pas au rendez-vous. « L’homme n’est heureux que de vouloir et d’inventer ».

Il en est de même du bonheur, qui est une création humaine. C’est une victoire de la volonté humaine sur la mauvaise humeur qui naît rapidement si l’homme ne transforme pas le monde, s’il ne décide pas d’être heureux : « la condition humaine est telle que si on ne se donne pas comme règle des règles un optimisme invincible, aussitôt le plus noir pessimisme est le vrai ». Pour éviter le pessimisme, il faut chasser l’idée reçue selon laquelle le bonheur ne dépendrait que des circonstances extérieures. Le bonheur est une œuvre, une suite de victoires sur les obstacles mis sur l’expression de la vie. Le bonheur explose lorsque la vie brave des obstacles, lorsque la puissance de vie qui est en nous s’exprime. Le bonheur « reçu » tourne vite à l’ennui, alors que « le bonheur que l’on se fait ne trompe point » (chap. 47).

Ainsi, rien ne vaut l’action concrète dans le monde pour se sentir heureux. Le bonheur est amplifié lorsque l’être humain agit avec d’autres. Une condition cependant : l’action doit être invention, transformation du monde, création humaine. Un travail où l’on apprend et où l’on invente contribue à nous rendre plus heureux qu’un travail mécanique où la créativité n’a aucune place. « Ce plaisir est dans tout métier, car l’ouvrier invente et apprend toujours. » (chap. 47).



Être heureux, ça se décide

 

Être heureux ne dépend que de nous-même, même si paradoxalement la relation à autrui est indispensable pour développer notre sentiment de bonheur.

Voici résumée la recette du bonheur selon le philosophe Alain :

  • de la volonté : il faut décider d’être heureux, peu importent les circonstances extérieures
  • du tri : éviter les personnes négatives, aller vers les personnes pleines de joie de vivre
  • du détachement : considérer la tristesse comme une « maladie » du corps et se détacher des pensées négatives en les observant sans les juger ni les amplifier
  • de la politesse : être poli constitue une très bonne source de motivation pour cultiver notre capacité à être heureux et à s’affirmer sans timidité
  • de l’espoir et de la joie de vivre : ne pas offrir de la pitié aux autres mais de la joie, de l’espoir et de la confiance en la vie
  • des gestes : bouger son corps pour chasser les pensées négatives (sourire, hausser les épaules, bâiller)
  • des œuvres à créer : le bonheur que l’on crée a meilleur goût que le bonheur reçu
  • des personnes qui partagent nos valeurs : agir dans le monde, avec autrui, nous rend plus heureux

Et vous, qu’est-ce qui vous rend heureux ?

 

 

3 commentaires sur “Les 7 clés du bonheur

  1. Clarisse

    Merci Rapha pour cet article très instructif et merveilleusement bien écrit ! ( comme toujours ) Petite question: peut- on être « poli » en souriant aux autres, s’intéresser à eux etc, tout en étant « timide » en groupe par peur de n’intéresser personne, créer des « bides », en racontant une anecdote ?

    Anonyme

    • Bonjour Clarisse, merci pour ton commentaire. Pour répondre à ta question, il me semble tout à fait possible et même courant chez beaucoup de gens, d’adopter un comportement de type extraverti, alors qu’à l’intérieur de soi on se sent introverti et qu’on a peur de la réaction des autres. Une des clés pour être plus à l’aise avec les autres, est de dédramatiser notre peur d’une part (ce n’est qu’un événement mental), et aussi de pas se forcer à parler si on n’en a pas envie, d’apprendre à pratiquer l’écoute active… Je te conseille de suivre le blog https://unmondepourlesintrovertis.fr/ qui aide les introvertis à être eux-mêmes et heureux avec les autres. J’espère que cela a un peu répondu à ta question ! A bientôt 🙂

  2. Lise

    Ce qui me rend heureuse ? Lire un article de Raphaëlle qui parle d’Alain et de Propos sur le bonheur qui est le livre que j’emporterais sur une île déserte… Chaque page prise au hasard est un apaisement intérieur… J’aime particulièrement « regarde au loin »… Merci Raphaëlle !

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