La fatigue engendre-t-elle la créativité ?

 

Sur Labortho, nous avons déjà abordé le sujet de la fatigue, ce ressenti universel. Cette dernière est utile à la communication et à la vie : le respect de notre besoin momentané de retrait est vital. Dans le présent billet, nous résumons le podcast proposé par Adèle Van Reeth pour France Culture dans Les chemins de la philosophie, intitulé « La grande fatigue » de Friedrich Nietzsche.

Nietzsche, philosophe de la fin du XIXe siècle, a eu une pensée préoccupante, celle que l’être humain des sociétés civilisées souffre d’une « grande fatigue » ou d’un « épuisement ».

 

Quelles causes à la « grande fatigue » ?

 

Certaines valeurs morales (ou plutôt moralisatrices) diffusées par la philosophie et les religions depuis des centaines d’années videraient progressivement l’être humain de ses forces vitales. En effet ces valeurs tendent souvent à mépriser la réalité sensible, les apparences du monde où nous existons, les émotions et les pulsions, et à n’accorder de l’importance qu’à l’intellect ainsi qu’à un ailleurs (l’au-delà) considéré seul comme réel.

 

Comment se traduit la fatigue ?

 

Cette « grande fatigue » se manifeste par deux comportements :

  • d’une part par une absence d’initiative : incapacité à agir par manque de motivation. On se dit : « A quoi bon agir ? Pourquoi s’en donner la peine ? »
  • ou au contraire par un défaut d’inhibition (impossibilité de ne pas réagir aux stimulations de l’environnement) et une hyperactivité qui nous détourne de l’essentiel. Nous connaissons tous cela lorsque nous devons réaliser un travail qui nous tient à cœur et que nous sommes irrésistiblement attirés dans le labyrinthe des réseaux sociaux… Nous nous complaisons dans le divertissement.

Ces deux attitudes sont les manifestations d’une même réalité psychique : l’incapacité de l’être humain à se confronter à sa condition d’être libre, donc à sa responsabilité, aux vrais efforts qu’il devrait fournir pour réaliser le sens de sa vie. La fatigue consiste à ne plus vouloir affronter le réel. Elle est évitement.

 

 

La (bonne) fatigue, terreau de vitalité et de créativité

 

En cas de désir d’éviter les difficultés de notre vie, Nietzsche pense que le repli sur l’inaction n’est pas une bonne option. La fatigue recèle un terrible piège : elle s’alimente elle-même. « Je suis fatigué, c’est pourquoi j’ai envie de me détourner du réel… Mais en retour, l’action de me détourner du réel amplifie ma fatigue ! »

La solution à la fatigue vient au contraire du mouvement : par exemple en se fatiguant, en marchant, notre esprit et notre corps fatigués vont regagner en vitalité. Les sportifs le savent bien ! S’épargner de la fatigue est le meilleur moyen de ressentir encore plus de fatigue. En se fatiguant, l’être humain se donne les moyens de produire quelque chose de nouveau. Merci Nietzsche de nous dire que la fatigue favorise la créativité ! Mais il s’agit là d’une fatigue active, en marche, et non d’une fatigue passive, qui fait du surplace en refusant d’affronter la réalité.

La solution vient aussi d’une prise de conscience de notre propre fatigue : « Je suis fatigué de me sentir fatigué ». Accepter ce ressenti permettra de mettre en mouvement notre volonté afin de changer notre situation et de retrouver de la vitalité.

 

 

Sortir de la fatigue : l’acceptation

 

Au final Nietzsche définit la fatigue comme une volonté de ne plus vouloir, de ne plus transformer le monde, de ne plus créer. Nier la réalité est un acte de notre volonté. L’espoir pour en sortir réside dans la prise de conscience que, même si elle choisit de ne plus exister, notre volonté est toujours là, bien que repliée sur elle-même. Il reste possible de la réveiller, de la mettre en mouvement vers l’extérieur, car elle ne meurt jamais tout à fait. Accepter que notre volonté existe toujours quelles que soient les circonstances est déjà un premier « oui », premier pas pour retrouver l’énergie vitale qui nous anime.

L’action de dire « OUI » à la vie, même lorsqu’on doit vivre avec une maladie, est ce qui permet de chasser l’épuisement. Étonnamment, la chose la plus difficile qu’ait un être humain à vivre selon Nietzsche n’est même pas la maladie : être en bonne santé (psychique) ce n’est pas ne pas être malade, mais affronter le quotidien à travers la maladie.

Le plus difficile à accepter est la banale vie quotidienne car on doit tous les jours repasser par les mêmes rituels et on doit parfois accepter de revivre des choses désagréables qui reviennent (les jeunes parents l’apprennent parfois à leurs dépens). L’Homme doit accepter « l’éternel retour » de sa propre vie. En effet nous avons tendance à ne pas vivre pleinement les moments quotidiens banals, nous les déformons car notre esprit vagabonde… Pourrions-nous considérer Nietzsche comme un précurseur de l’appel à une vie en pleine conscience ?



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2 commentaires sur “La fatigue engendre-t-elle la créativité ?

  1. pellissier

    si on actualise le lexique nietzscheen,on peut parler de carburant lié au stress qui pour moi a été un vrai moteur au début de mon exercice professionnel,mais le confinement actuel m’ouvre des perspectives ,je partais.. en vacances en overdose avec un soin infini pour ne pas parler boulot .là,je fais des recherches,je construis des fiches ,je me forme et surtout j ai trouvé votre site ce qui me réjouis profondément.bon courage à tous( tes).

  2. Emma

    Très bon article, qui correspond à mon état d’esprit du moment. Orthophoniste et jeune maman de jumeaux (bye bye nuits reposantes…), je suis confrontée tous les jours à la fatigue. Je viens de reprendre mon activité d’orthophoniste et me rends compte que plus je suis dans le mouvement de la vie moins je ressens cette fatigue. Cette fatigue très présente par moment à un côté positif: j’ai l’impression d’être plus « économe », je vais à l’essentiel (au travail également) et je mets en place des stratégies pour tenir le coup. J’ai l’impression d’être plus accrochée au présent. Si je m’arrête, si je ressasse que je suis fatiguée, mon corps et mon cerveau me semblent au ralenti et cela peut aller très vite… Mais si je me mets en action, dans le présent, tout semble plus facile. Je crois que j’ai finalement accepté d’être fatiguée, que j’ai pris conscience que pendant un certain temps je serai épuisée mais qu’il faut quand même continuer. Voilà, je ne sais pas si j’ai bien compris l’article mais il me parle!

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