Pleine conscience, orthophonie et bégaiement

 

Résumé d’article
Labortho, aime la pleine conscience (lire ou relire Pleine conscience : moins de stress, plus de créativité). Comment la pleine conscience peut-elle s’inscrire dans les soins proposés par les orthophonistes ? Le chercheur américain Michael Boyle apporte dans un article intitulé « Mindfulness training in stuttering therapy : A tutorial for speech-language pathologists » (2011) quelques éléments de réponse, plus particulièrement dans le cas du bégaiement, que nous résumons ici-même.

 

Traduction du résumé de l’article de Michael Boyle : L’utilisation de l’entraînement à la pleine conscience pour augmenter le bien-être psychologique chez des populations cliniques et non cliniques variées a explosé depuis la dernière décennie. Dans le domaine du bégaiement, il est largement reconnu qu’une gestion du trouble efficace à long terme nécessite un traitement de ses dimensions cognitives et affectives, qui viennent s’ajouter aux composantes comportementales. Pourtant, les stratégies basées sur la pleine conscience et leur possible utilité dans la gestion du bégaiement n’ont pas encore été décrites en détail dans la littérature. Cet article cherche à engager, chez les professionnels qui traitent le bégaiement, un dialogue à propos de la possible utilité d’incorporer un entraînement à la pleine conscience dans la gestion du bégaiement. Une revue de la littérature révèle un recouvrement important entre ce qui est requis pour la gestion efficace du bégaiement et les bénéfices apportés par la pratique de la pleine conscience. La pratique de la pleine conscience entraîne une diminution de l’évitement, une augmentation de la régulation émotionnelle, une acceptation et une amélioration du processus sensation-perception ainsi qu’une meilleure régulation des capacités attentionnelles. Ces compétences sont importantes pour une gestion efficace à long terme du bégaiement à la fois aux niveaux psychosocial et sensori-moteur. En conclusion, l’incorporation de la pleine conscience aux traitements du bégaiement apparaît réaliste et mérite d’être explorée. Les stratégies de pleine conscience adaptées aux personnes qui bégaient peuvent aider à gérer les défis cognitifs, affectifs et comportementaux associés au bégaiement.

 

1- Introduction

 

Chez la personne qui bégaie, les perturbations physiques de la parole s’associent avec des troubles psychologiques :

  • pensées et émotions négatives
  • anxiété plus élevée par rapport à la population générale (plus de risque aussi de présenter un trouble panique, une phobie sociale, un trouble anxieux généralisé)
  • Or les pensées négatives à propos de la parole augmentent les risques de rechute. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est efficace pour réduire les conséquences psychosociales du bégaiement (comme l’anxiété et l’évitement) mais cette thérapie n’a pas d’influence sur la fluence de la parole. La pleine conscience qui fait partie des thérapies comportementales dites de « troisième vague » peut être d’une grande aide dans la thérapie du bégaiement.

 

2. Bégaiement : pourquoi la pleine conscience fait du bien

 

Dans cette partie Michael Boyle explique pourquoi la pleine conscience est utile pour traiter le bégaiement. Il explique aussi quels sont les points communs entre pleine conscience et techniques classiques pour la gestion de la parole et des émotions. Pour lui, la pleine conscience permet d’améliorer l’efficacité des techniques apprises chez l’orthophoniste.

 

La pleine conscience permet de développer :

  • L’exposition aux comportements typiquement évités : la pleine conscience encourage le patient à OBSERVER ET ACCEPTER toutes les expériences qu’il vit, tout ce qu’il ressent, que cela soit positif ou négatif. La capacité à observer ses peurs, ses évitements, provoque une diminution de la peur. En gros, le patient n’a plus peur d’avoir peur. Il se confronte plus aisément à sa peur, voit qu’il n’y a aucun danger à s’y confronter, la peur va alors prendre moins d’ampleur, etc (cercle vertueux). Et bingo : moins le patient a peur de bégayer, plus il met en place facilement « les stratégies comportementales d’exposition classiquement apprises » (bégaiement volontaire, maintenir le contact visuel pendant le bégaiement, bégaiement inverse…). Argument non négligeable : La pleine conscience favorise aussi la généralisation de l’application de ces différentes stratégies ! La pleine conscience peut s’appliquer quel que soit le contexte, l’endroit, l’heure… Le patient retrouve confiance en lui car il sait qu’il dispose d’une technique qui peut s’appliquer quelles que soient les circonstances.
  • La régulation émotionnelle : les émotions négatives sont une composante fondamentale du bégaiement. La pleine conscience réduit la rumination d’événements passés négatifs et l’anticipation d’événements futurs anxiogènes. L’entraînement à la pleine conscience aide à faire la différence entre une réaction émotionnelle naturelle et le processus de simulation mentale qui ajoute des pensées par-dessus les réactions émotionnelles. La pleine conscience permet de continuer à vivre les réactions émotionnelles qui vont et viennent, mais annule le potentiel de ces émotions à entraîner et perpétuer un cycle de pensées et de comportements négatifs. Avec la pleine conscience le patient est capable de détecter lorsqu’il quitte le moment présent pour partir dans ses pensées. Le patient qui régule mieux ses émotions a l’esprit plus disponible pour appliquer les techniques orthophoniques apprises en séance.
  • Le ressenti corporel : la pleine conscience améliore le ressenti corporel et le rend plus équilibré par rapport aux « pensées  » (par « pensée », il faut entendre tout ce qui concerne le langage intérieur : étiquetage verbal, jugement, analyse, auto-réflexion…). La pleine conscience rejoint les conseils donnés par les thérapeutes du bégaiement, à savoir le fait de « ressentir les mouvements articulatoires et la vibration des cordes vocales ». La pleine conscience aide le patient à « se mettre en mode sensoriel ».
  • Les capacités métacognitives, en particulier la prise de distance avec le phénomène des pensées : Les personnes qui bégaient, comme beaucoup de personnes anxieuses, ont en effet tendance à considérer leurs pensées comme des vérités absolues, des choses qui vont réellement se produire (exemple : « je vais encore bégayer, il va me trouver nul… »). La pratique de la pleine conscience invite ces personnes à considérer autrement les mots qui constituent leurs pensées : ils sont juste des images qui apparaissent et disparaissent sur un écran de cinéma. En aucun cas ils ne constituent une vérité absolue. Ce ne sont que des mots qui ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Les pensées sont « juste des pensées ».
  • La prévention du risque de rechute : l’amélioration des capacités métacognitives du patient lui permet d’avoir conscience plus rapidement des signes de peur et d’évitement qu’il pourrait ressentir à nouveau lorsqu’il bégaie, et qui auraient pu, s’il ne les avait pas vus, le faire régresser au même point qu’avant de commencer la thérapie.
  • Le contrôle attentionnel : des études ont montré que les capacités attentionnelles sont grandement améliorées grâce à la pleine conscience (réduction du temps de réaction, augmentation de l’attention soutenue). Or les personnes qui bégaient sont très fragiles à ce niveau. Une meilleure capacité d’attention va rendre l’application de la thérapie du bégaiement plus efficace.

 

 

3- Applications de la pleine conscience au traitement du bégaiement

 

Cette partie est destinée à fournir des idées concrètes pour pratiquer la pleine conscience en séance. Même si les bénéfices de la pleine conscience dans le traitement du bégaiement ont été observés quel que soit l’âge du patient (enfants, ados, adultes), les applications décrites dans cet article sont destinées aux adultes. Ces techniques sont issues du protocole MBCT créé à l’origine pour prévenir les rechutes de dépression.

  • Conscience des activités quotidiennes : L’orthophoniste peut proposer au patient des actions très simples qu’il peut pratiquer au quotidien. Le but est de « sortir du pilote automatique » (ne plus faire les choses machinalement) et de se concentrer sur les sensations. Ce n’est pas l’expérience intellectuelle qui est recherchée, mais l’expérience sensorielle. N’importe quelle action peut être réalisée en pleine conscience : marcher, faire la vaisselle, prendre sa douche… Lorsqu’il applique une technique pour gérer son bégaiement, le patient est invité à avoir « l’esprit du débutant », à parler comme s’il redécouvrait la parole en portant son attention sur les sensations physiques de ses articulateurs, de sa respiration…
  • Le scan du corps : cet exercice consiste à faire porter son attention sur différentes parties du corps, les unes après les autres. Par exemple, on peut commencer par les pieds : la personne porte volontairement son attention sur ses orteils, elle explore les sensations physiques qui y sont présentes (froid, chaud, frottement avec un vêtement…), puis elle lâche l’attention de cette région du corps pour aller la porter sur le talon, etc. Grâce à cet exercice, le patient ressent mieux son corps mais aussi la manifestation des tensions, émotions qui sont présentes dans certaines parties de son corps. L’auto-contrôle des muscles servant à la parole est amélioré.
  • La conscience de la respiration : le patient se met à l’écoute de sa respiration et observe ses pensées aller et venir comme des images apparaissant sur un écran, puis revient à sa respiration…L’auteur conseille un exercice de 3 minutes de respiration dans la séance. La respiration peut être un moyen de mieux ressentir le corps comme un tout (le patient peut par exemple imaginer que l’air qu’il inspire va dans tout son corps).

 

  • La conscience des pensées : L’orthophoniste peut conseiller à son patient d’imaginer que ses pensées sont comme des images apparaissant sur un écran. Le cycle des pensées négatives s’arrête alors plus facilement car le patient pourra détecter plus rapidement des pensées négatives qui reviennent, comme un film rejoué de nombreuses fois et que l’on finit par connaître par cœur. L’orthophoniste peut conseiller à son patient d’écrire ses pensées dans un carnet afin de se sentir moins envahi par elles.
  • Créer un plan d’action pour prévenir les rechutes : là encore, l’orthophoniste peut aider son patient à prendre conscience des risques de rechute. L’auteur conseille de créer une liste des comportements, pensées, émotions, liés au sentiment de confiance lorsque le patient parle, puis une liste des choses liées avec le risque de rechute (sentiment de ne plus maîtriser sa parole, d’avoir peur de bégayer…). Inclure l’entourage du patient dans la détection de ces risques est recommandé. En cas de rechute, le patient est invité à s’accorder un temps de 3 minutes pour respirer, puis à mettre en place une action destinée à lui faire retrouver le sentiment de confiance et de maîtrise de sa parole.
  • Appliquer consciemment les techniques de rééducation : l’auteur conseille au patient qui souhaite appliquer une technique de gestion de son bégaiement au quotidien de trouver un temps de 3 minutes pour respirer, de considérer cette technique comme une simple expérience, de ne pas se restreindre à une seule technique et de ne pas attendre de résultat parfait. L’objectif est de diminuer la présence des jugements pour que la personne se recentre sur son ressenti corporel.



 

Conclusion de l’article

 

  • Le but de cet article a été de promouvoir auprès des cliniciens du bégaiement l’utilisation des techniques de pleine conscience, en tant que moyen d’entretenir et de faciliter la gestion efficace et à long terme du bégaiement.
  • Les recherches explorant la pratique de la pleine conscience sur la gestion du bégaiement, ainsi que certaines sous-composantes de la pleine conscience (acceptation, concentration sur les sensations…) devraient être la priorité pour les personnes qui s’intéressent aux personnes qui bégaient.
  • Les auteurs de l’article appellent à la création de techniques thérapeutiques basées sur les preuves et issues de la pleine conscience spécifiquement adaptées au bégaiement.
  • Enfin, les cliniciens dispensant des techniques de pleine conscience doivent s’engager à les pratiquer personnellement, lorsque ces techniques sont un outil essentiel de leur thérapie (d’après le code éthique de l’ASHA, l’association des orthophonistes des États-Unis).

 

Point de vue de Labortho

 

Cet article ne s’attarde pas sur la théorie. L’idée de transférer les techniques de pleine conscience à la gestion du bégaiement (et en particulier le risque de rechutes) apparaît pertinente. L’article a le mérite d’expliquer simplement les effets bénéfiques de la pleine conscience sur l’attention, la prise de conscience corporelle, la régulation émotionnelle, la prise de distance avec les pensées, et de proposer aux orthophonistes des pistes concrètes pour améliorer l’application des techniques classiques de gestion de la parole ainsi que des pensées négatives des personnes qui bégaient. Néanmoins cette partie pratique mériterait d’être plus détaillée et complétée. Certains aspects de la pleine conscience n’ont pas été évoqués dans cet article, notamment les exercices de bienveillance, de gratitude qui font partie intégrante de la pleine conscience et qui peuvent enrichir les capacités d’acceptation décrites dans l’article.

Il nous semble aussi que certains conseils qui sont prodigués dans l’article relèvent plus des TCC que de la pleine conscience, comme le fait de noter ses pensées sur un papier, et le conseil de modifier ses pensées avant d’appliquer un exercice vu en séance d’orthophonie (exemple : considérer avant tout qu’une technique n’est qu’une expérience, considérer que les mots ne sont que des événements mentaux…). Bien sûr, pratiquer la pleine conscience ne dispense par de recourir à d’autres techniques (relaxation classique, TCC…). Rappelons toutefois que tout ce qui relève d’une meilleure prise de conscience n’est pas à ranger systématiquement avec les thérapies basées sur la pleine conscience, qui consistent avant tout à se relier à l’expérience présente. Si nous voulons savoir comment la pleine conscience agit de manière bénéfique sur les personnes qui bégaient, il faudrait veiller à ne pas inclure, du moins dans les études scientifiques, des techniques issues d’autres approches.

Même si nous savons que l’article n’est qu’une revue de littérature associée à un effort remarquable pour proposer une liste de propositions thérapeutiques destinées aux orthophonistes, il ne décrit pas de cas concret. Aucun chiffre, aucun cas clinique, ne vient étayer les conseils donnés par l’auteur de l’article. Des études sur des patients bénéficiant de techniques spécifiques au bégaiement et basées sur la pleine conscience sont attendues.

 

Et vous, que pensez-vous de l’article de Michael Boyle ? Avez-vous des conseils à ajouter en complément de ceux évoqués dans cet article ? Utilisez-vous en séance des techniques basées sur la pleine conscience en complément des techniques orthophoniques classiques ?

 

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