Orthophonie : quels gestes professionnels ?

 

Qu’est-ce qu’être un professionnel compétent ? Incarner cette profession par la maîtrise de gestes spécifiques.

Le mot « geste » en français vient du verbe latin « genere » (faire) qui a donné le participe passé « gestus » (un mouvement du corps porteur ou non de signification).

On peut dire que nous passons notre vie à faire des gestes (pléonasme!) – mouvements plus ou moins conscients : respirer, parler, marcher, ingérer, éliminer, faire du vélo…

Lorsqu’ils sont réalisés par un professionnel, les gestes comportent une dimension sociale et éthique. Un « pro » est quelqu’un qui maîtrise certains gestes techniques. Les services qu’un professionnel rend à autrui se doivent d’être adaptés et efficaces. Une relation de confiance se noue naturellement entre le « pro » et la personne aidée.

 

Les gestes professionnels chez l’enseignant

 

Dans le cadre d’une profession, le geste est l’expression physique et visible d’une intention précise. Jean Duvillard, nous dit que les gestes de l’enseignant peuvent être réalisés dans trois registres :

  • l’instruction : l’enseignant a pour rôle de délivrer un savoir, une norme culturelle.
  • la méditation ou la régulation : l’enseignant délivre un savoir ajusté à ses élèves. Il doit leur donner l’envie d’apprendre. « Dans ce type de situation, l’enseignant peut être vu comme un « accoucheur des esprits », sa présence est là pour réguler, faire émerger les potentialités individuelles. Il doit donner confiance, stimuler les forces de proposition ».

  • la discipline : cette fonction est moins plaisante mais essentielle à la fonction d’enseignant. Il doit savoir aussi sanctionner les élèves lorsqu’ils dépassent les limites autorisées.

Si l’intention des gestes est essentielle dans leur mise en œuvre, leur expression physique concrète (la question « comment fait-on ? ») l’est tout autant.

Jean Duvillard a repris de Christian Alin deux gestes professionnels fondateurs :

  • (se) mettre en scène : il s’agit de disposer l’environnement et sa propre personne de manière à capter l’attention des élèves et de construire un espace qui incite aux apprentissages.

  • (s’) observer : adopter une attitude réflexive sur sa pratique. Savoir se critiquer pour s’améliorer.

Duvillard a filmé des séquences d’enseignement puis les a montré aux enseignants pour formuler avec eux des critiques constructives. Ainsi l’enseignant est peu à peu capable de se mettre en scène et de s’observer en même temps, afin de mieux s’ajuster à ses élèves. Cette capacité est appelée « l’introspection gestuée ».

Cinq « micro-gestes professionnels » susceptibles d’être conscientisés et rejoués ont pu être identifiés :

  • la posture gestuée : elle comprend l’aspect physique de l’enseignant, l’image qu’il donne à voir à autrui à travers son corps. « En une fraction de seconde, volontairement ou non, nous avons prélevé des indices sur les aspects corporels de la personne : taille, tête, couleur des cheveux, des yeux, code vestimentaire… ».

  • la voix : elle est le reflet de l’état psychologique de l’enseignant, de son intention d’être plus ou moins à l’écoute de ses élèves… Tous les paramètres physiologiques et acoustiques de la voix sont décodés par les auditeurs. La voix ne sera pas utilisée de la même manière si l’enseignant transmet un savoir, s’il cherche à réveiller l’attention des élèves ou s’il prononce une sanction.

  • le regard : il véhicule toujours une intention capitale dans la relation aux élèves. Est-il trop distant, ou trop familier ? Le regard est aussi un élément permettant de susciter l’attention (ou pas) de l’auditoire.

  • l’usage du mot : l’enseignant s’engage à être un modèle dans l’usage de la langue française. Trouver le mot juste dans un registre de langue adapté fait partie intégrante de son identité professionnelle.

  • le positionnement tactique (placement/déplacement) : comment l’enseignant se positionne-t-il par rapport à la classe ? Comment s’installe-t-il à son bureau ? Comment se déplace-t-il dans l’espace ? A quelle distance se place-t-il de ses élèves pour les aider ?

 

Ces micro-gestes professionnels sont loin d’être innés. Beaucoup de futurs enseignants sont maladroits, gênés lorsqu’ils se retrouvent devant leurs élèves. Jean Duvillard pose l’hypothèse que les micro-gestes qui fondent la relation avec les élèves peuvent être observés, appris consciemment, voire corrigés grâce au développement de « l’introspection gestuée ».



 

Les gestes professionnels de l’orthophonie

 

En découvrant avec intérêt la thèse de Jean Duvillard sur les gestes professionnels dans le métier d’enseignant, je me suis naturellement demandée : Y a-t-il des gestes professionnels de l’enseignement communs avec l’orthophonie ?

Bien sûr, les orthophonistes ne s’adressent pas face à une classe et ne cherchent pas à transmettre des savoirs comme le font les enseignants. Mais ils se revendiquent eux aussi des modèles dans la maîtrise et l’usage de la langue française. Leur posture, leur regard et leur voix transmettent également des intentions : bienveillance, écoute de l’autre… Les trois registres du geste (instruction, médiation et discipline) sont eux aussi utilisés par les orthophonistes, même si celui de la médiation l’emporte en général sur les deux autres. Enfin l’orthophoniste est lui aussi invité à mettre en scène sa personne et son espace de travail pour donner envie à ses patients de communiquer et de s’investir dans la prise en soins.

En orthophonie, peut-on alors parler de gestes professionnels spécifiques ? Sur quoi repose l’identité professionnelle des orthophonistes et en quoi se distingue-t-elle d’autres professions ?

Les moyens d’action de l’orthophonie relèvent à la fois de la technique et de l’aspect relationnel.

Concernant la technique, nous avons une nomenclature générale des actes professionnels de l’orthophonie, mais aucune nomenclature sur les gestes professionnels qui pourraient être spécifiques à la profession. En y réfléchissant, la formation initiale des orthophonistes en fournit très peu. D’ailleurs la pratique concrète en orthophonie est tellement vaste que je ne me risquerais pas à dresser une liste complète des gestes professionnels de la profession. Certains actes impliquent néanmoins des gestes plus « techniques » que d’autres : rééduquer une paralysie faciale, éduquer à la lecture labiale, faire émerger la voix œsophagienne…A ma connaissance, la formation ABA-VB donne des indications concrètes sur la manière de travailler la communication verbale. Les outils de la communication bienveillante nous guident également très précisément sur la manière dont nous pouvons modifier notre manière de parler, de communiquer…

Mais y a-t-il des gestes spécifiques pour donner envie à un patient de communiquer ? La capacité d’adaptation de l’orthophoniste à chaque patient est-elle vraiment susceptible de s’apprendre pendant les études ? Le savoir-être des futurs professionnels est censé être une qualité innée : un des critères essentiel du choix des candidats lors des oraux des écoles d’orthophonie est leurs capacités relationnelles, telles que les ressentent le jury ce jour-là… La formation théorique donne ensuite aux futurs orthophonistes des connaissances sur le fonctionnement normal et pathologique de la communication, ce qui constitue une « culture orthophonique » commune. L’apprentissage de la pratique est essentiellement confié aux enseignants des Travaux dirigés ainsi qu’aux maîtres de stage.

Malgré tous ces moyens mis en œuvre pendant leur formation initiale, les orthophonistes se retrouvent très souvent démunis une fois arrivés devant leurs premiers patients. Ce sentiment de ne pas savoir faire se retrouve au niveau des techniques de rééducation mais aussi au niveau du positionnement relationnel face au patient. Le besoin très fort de formation continue portant sur des éléments concrets, sur le « comment faire » témoigne d’une identité professionnelle fragile chez nombre d’orthophonistes. Un épuisement et un sentiment d’imposture ne sont pas étonnants lorsqu’on pense ne pas savoir maîtriser certains aspects du métier. Il serait rassurant de pouvoir se reposer sur des bases solides, sur l’acquisition de gestes professionnels concrets, concernant les deux aspects du métier (technique et relationnel).

Mais comment dresser une liste des gestes orthophoniques pour tout ce qui relève de la profession ? Il me semble qu’il est impossible d’être exhaustif. Chaque geste professionnel orthophonique s’affine au fil du temps en fonction des rencontres avec des professeurs, des maîtres de stage, des patients particuliers. L’évolution de la vie personnelle entre en jeu elle aussi.

Par exemple, nous pourrions réfléchir aux gestes professionnels orthophoniques suivants, tout en sachant que chaque geste doit d’ajuster à la situation vécue au moment présent :

  • accueillir une demande téléphonique
  • accueillir un patient au cabinet
  • annoncer un diagnostic orthophonique
  • se rendre chez un patient à domicile
  • organiser son temps (emploi du temps, déroulement de séance, temps d’échange avec les familles ou les autres professionnels…)

En guise de conclusion, il me semble qu’il serait passionnant de décrire précisément quels gestes professionnels pourraient être spécifiques à la profession d’orthophoniste, tout en gardant à l’esprit que cette profession est aussi un « art » qu’on ne peut enfermer dans des listes de gestes professionnels préétablis.

A mon sens, l’intention du professionnel est fondatrice de son identité d’orthophoniste : cette intention est de donner les moyens aux patients de communiquer, de penser, de manger, de manière à favoriser la qualité de vie de la personne.

Et vous, avez-vous un avis sur cette question ?

 

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