Orthophonistes, restons vivants !

 

La communication c’est avant tout l’envie de vivre, et le meilleur moyen de donner envie de vivre aux autres c’est d’être vivant soi-même. Je suis convaincue que les patients ont besoin de soignants qui soient vivants avant tout (même si leur expertise dans leur domaine de compétence est indispensable !).

D’où me vient l’idée de ce billet ? « Me sentir vivante » : récemment cet objectif de vie s’est imposé en moi comme une évidence. Il est passé devant d’autres objectifs (devenir experte dans certains domaines de l’orthophonie, m’améliorer au piano…). L’énergie de vie de certains artistes (chanteurs, acteurs) m’a contaminée, je me suis dit alors : « Eux se sentent vraiment vivants, et ils transmettent cette énergie à leur public. C’est pour cette raison que les artistes sont si importants dans notre société actuelle où l’humain est de plus en plus quantifié, mesuré, et même remplacé par des machines : les artistes sont les gardiens de la vie. »

 

Nous sommes (souvent) des zombies

 

J’interprète la fascination actuelle pour les zombies, ces humains morts-vivants, comme un reflet de ce qui se passe dans notre société où nous sommes de plus en plus déconnectés de l’essentiel : le sentiment d’être vivant.

Regardez les gens qui marchent dans la rue : beaucoup ont les épaules voûtées, les yeux rivés sur le trottoir, les bras chargés de sacs et de soucis trop lourds à porter. Ils supportent leur corps au lieu de le porter fièrement et dignement. Ils ne regardent plus le ciel. Sollicités plusieurs fois par jour dans les transports en commun, ils se protègent en feignant d’ignorer la violence de l’exclusion qui les entoure. Il faut dire que je vis à Paris, et cela joue probablement dans ma perception des choses. Je peux dire aussi qu’il y a de la vie à Paris et heureusement : des sourires, des enfants qui jouent, des inconnus qui ouvrent une discussion à l’improviste…

 

Des soignants vivants pour des patients vivants

 

Les soignants sont les « gardiens » de la vie, tant physique que psychique. En particulier, les orthophonistes se donnent pour mission de préserver l’envie de communiquer, qui me paraît essentiellement dépendante de l’énergie psychique des patients. Réactiver cette énergie quand elle est quasiment éteinte, la préserver lorsqu’elle menace de décliner, la stimuler lorsqu’elle est encore timide, l’accompagner lorsqu’elle ne trouve plus personne avec qui se partager, l’orienter vers une personne adaptée qui servira de relais à l’orthophoniste, tel est me semble-t-il le plus beau succès de l’accompagnement que nous apportons à la société.

Or un patient vivant a besoin d’un soignant vivant. A l’heure actuelle la pression croissante, mentale et financière, qui pèse sur les orthophonistes, leur fait de moins en moins ressentir le sentiment d’être vivant. Les soignants étouffent à petit feu, ils ont moins d’espace psychique, et en proposent moins à leurs patients. Cette situation est dangereuse à terme autant pour les soignants que pour les patients qui peuvent eux-mêmes avoir l’impression de se sentir comme des rouages insignifiants d’une grosse machine impersonnelle : le système de soins français (bien que ce système ait aussi de bons côtés). J’ai moi-même choisi le mode d’exercice conventionné à domicile exclusivement afin de me sentir plus libre de mes choix thérapeutiques même si je ressens toutes les contraintes du métier qui restent fortes.

 

Qu’est-ce qu’être vivant ?

 

Pour moi, être vivant c’est sentir une source d’énergie joyeuse, confiante, emplie d’humour et de bienveillance. La tristesse, la haine, la peur et tous ses dérivés (l’anxiété) n’en font pas partie. Être vivant est un sentiment intime de connexion avec notre propre personne et avec autrui. C’est un sentiment de douceur, de fluidité, de facilité dans la relation à l’autre.

Cette énergie est de nature psychique. Un corps douloureux, la présence d’une maladie, la fatigue, n’empêchent pas nécessairement une personne de se sentir vivante. Une personne malade peut tout de même être capable de jouir d’un rayon de soleil, du sourire d’un être aimé, d’une visite d’un ami, d’une ambiance douce et chaleureuse… La méditation de pleine conscience nous montre qu’on peut tout à fait ressentir une douleur et l’observer sans y rajouter de souffrances qui sont de nature mentale.

La liberté et l’envie de communiquer sont des signes de vie qui ne trompent pas. Quand on est vivant, on a l’énergie de donner et de recevoir. Cette énergie rend la personne disponible pour recevoir et comprendre ses propres sensations, émotions, pensées ainsi que celles des autres. On se sent capable d’entrer librement en contact les autres et de rentrer en soi-même lorsque le besoin s’en fait sentir.

Enfin je dirais que le sentiment d’une énergie en mouvement (capable de tout explorer), libre d’occuper tout l’espace dont elle a besoin, fait entièrement partie du sentiment d’être vivant. Cette énergie ne donne pas le sentiment d’être enfermé ou d’étouffer dans sa propre vie, au contraire on a le sentiment que tout est possible même si la réalisation de nos désirs prendra du temps. On a le sentiment d’avoir assez d’espace pour respirer, pour vivre. Nous sentons que notre présence dans ce monde est légitime. Le syndrome de l’imposteur ne peut pas coller avec le sentiment d’être vivant qui nous donne le sentiment d’être à notre place à notre place quelles que soient les circonstances.

 

 

Des envies de liberté, des envie de vivre

 

Je suis dans une démarche qui prendra du temps, celle qui consiste à identifier ce qui me rend vivante (en particulier dans mon métier d’orthophoniste), et ce qui m’enlève ce sentiment. Je sais par exemple que je ne pourrais jamais rester toute la journée assise dans le même bureau, mais que j’aime de temps en temps me poser quelques heures dans un même lieu.

J’aime aller à l’essentiel (je manque parfois de diplomatie), et rentrer rapidement avec mon interlocuteur dans la profondeur du sujet qui m’intéresse. Ne pas parvenir à partager avec d’autres ce qui me passionne me cause aussi une perte d’énergie : j’ai besoin des autres pour faire exister mes idées et me sentir vivante.

L’orientation de mon énergie (en particulier professionnelle) a changé par rapport au début de mon exercice il y a 4 ans : j’ai étudié l’orthophonie car j’étais très intéressée par la neurologie, les sciences du langage, l’autisme, la voix… mais à ce jour, je me passionne pour les gens que je rencontre sur le chemin de ce métier : je suis devenue davantage concentrée sur le « concret », le « comment » que par la théorie et le « pourquoi ». Je me donne de l’énergie en me disant que je fais des choses « pour quelqu’un » et non pour « quelque chose ». C’est pourquoi à mon avis, dès le début des études, la théorie devrait être mise en perspective avec des rencontres entre futurs professionnels et patients .

Je sais que j’ai envie de pratiquer l’orthophonie en milieu plus ouvert, j’aime beaucoup l’expression « en lieu de vie », car le domicile et les EHPAD uniquement sont des lieux d’intervention où le champ de notre action reste assez limité. J’aimerais favoriser l’inclusion dans la société de mes patients en réalisant des séances dans les lieux publics, des associations, mais aussi en organisant davantage de rencontres entre les gens (patients entre eux, patients et population tout venant…).

Je sais que j’aime utiliser les intérêts des patients (et parfois les miens !) pour les engager dans un exercice, une discussion, un échange… Je comprends tout à fait ce qu’est un « ennui mortel » : m’ennuyer, c’est-à-dire ne pas trouver de sens à ce que je fais (ce qui est encore différent de ne rien faire de particulier), m’enlève hélas toute énergie psychique.

Encore une fois la méditation de pleine conscience m’aide beaucoup à me sentir vivante et connectée avec mon expérience. Je sais que je ferai tout pour ne pas oublier d’être vivante, aussi bien avec mes patients qu’en dehors, que je marche simplement dans la rue ou que je travaille l’accès au lexique avec un patient… Lorsque je retomberai en mode « zombie » (car cela arrivera forcément hélas), j’espère que je saurai retrouver le chemin du sentiment de vivre. Je vous souhaite à tous de vous sentir vivants (et pas seulement pendant les vacances) et de transmettre cette énergie à tous ceux que vous côtoyez. N’hésitez pas à me faire partager vos astuces pour vous sentir vivants !

 



2 commentaires sur “Orthophonistes, restons vivants !

  1. J’aime beaucoup le titre « Restons vivants ». Pour nous, soignants, rester vivant n’est pas une figure de style. Souvent, c’est une figure que nous accrochons à notre visage, pour de vrai. Parce que la vie nous appelle, malgré la maladie. Parce que nos patients ont besoin de notre énergie. Selon moi (petit moi-même), il n’y a ni truc ni astuce pour rester vivant malgré tout ce qui nous plombe. Il y a l’énergie de résister. Pour moi, être soignant, c’est choisir de résister. Contre la fatalité, contre l’inconnu, contre la faute à pas de chance, contre tout ce qui empêche quelqu’un de vivre en humain. Être orthophoniste, pour moi, c’est résister et rester humain. De tous les métiers que j’ai exercés, c’est de loin celui qui me rend le plus vivante! Merci Raphaëlle.

    • Merci pour ton témoignage, et ton immense volonté de résister qui est ton moteur de vie !

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