Patient autonome : un mythe ?

 

L’efficacité d’un suivi orthophonique et la motivation du patient dépendent en grande partie de son environnement et non pas des seules compétences du professionnel. Ce billet poursuit la réflexion sur la motivation commencée ici.

 

A l’heure où les personnes malades sont encouragées à se comporter moins comme des patients que comme des usagers, acteurs et autonomes autant que possible de leur santé, l’article de Peter A. Coventry et ses collègues vient nous rappeler la triste et la dure réalité. Non, tous les patients ne sont pas capables de « self-management », c’est-à-dire non seulement de prendre docilement le traitement prescrit par leur médecin mais encore de s’engager dans des comportements destinés à maintenir ou à améliorer leur santé, comme adopter une bonne hygiène de vie, et pratiquer en autonomie les exercices recommandés par les professionnels de santé. Tout le monde n’est pas capable de se prendre en charge de manière autonome. Non, la motivation à se soigner ne dépend pas que de la bonne volonté de chacun. L’engagement actif d’un patient dans la préservation de sa santé est davantage le résultat de la convergence de ressources qui dépendent pour une large part de ses conditions de vie.

 

Les obstacles principaux au « self-management » dans la santé sont hélas nombreux. Le premier d’entre eux est l’environnement du patient en l’occurrence lorsqu’il se caractérise par un défaut d’accès aux ressources économiques, aux transports et infrastructures de proximité, à un réseau social (réel) présent et soutenant… La misère économique et sociale empêche trop souvent les personnes de s’investir activement dans des actions destinées à améliorer leur santé. Par exemple le défaut d’accès à un revenu correct peut bloquer l’accès aux transports ce qui va rendre plus difficile la participation à un groupe d’échange entre patients.

 

En fait, environnement et représentations mentales de sa propre santé n’ont aucune raison d’être séparés. Plus les patients vivent dans des lieux caractérisés par la pauvreté économique, plus ils sont convaincus que le maintien de leur santé repose essentiellement sur les professionnels médicaux. Pire, ils sont même plus enclins à penser qu’être en mauvaise santé chronique est la norme puisqu’ils sont habitués à côtoyer des personnes en mauvaise santé au quotidien. Sans surprise, le sentiment d’être en partie responsable de sa propre santé se fait plus présent lorsque le patient a accès à un environnement plus riche sur le plan financier et social.

 

Un capital de connaissances ainsi qu’un capital linguistique solides sont aussi des atouts majeurs dans la capacité du patient à s’engager dans la prise en charge autonome de sa santé. Une personne capable de comprendre les conseils médicaux qu’on lui prodigue sera plus à même de se les représenter, de les critiquer et de les mettre en pratique. La capacité à utiliser ses compétences en langage oral et écrit, ses capacités cognitives et ses connaissances en vue de s’intégrer à son environnement s’appelle la littératie. Appliquée à la santé, le concept de littératie désigne toutes les compétences nécessaires en vue de comprendre et de bénéficier du système de santé. Une étude de l’INPES révèle que le niveau de littératie en santé est faible aux États-Unis et en Europe. Les pistes pour rehausser le niveau de littératie consistent à faire l’effort d’aller vers les populations à la marge de l’accès à la santé en rendant les informations sur la santé plus accessibles, en organisant de actions de prévention mais aussi de lutter contre l’illettrisme et les troubles du langage. Les orthophonistes ont leur rôle à jouer dans l’accès de tous à la santé, en améliorant l’accès au capital linguistique et son utilisation concrète dans la cité.

 

D’autre part, certains facteurs plus individuels, comme la présence de plusieurs maladies graves, la multimorbidité, est un frein puissant à l’engagement du patient dans des techniques de « self-management » . Les chercheurs ont observé que la dépression empêche le patient d’être motivé puisque dans ce cas, il n’a plus l’énergie pour réaliser les efforts nécessaires à la prise en main autonome de sa santé. Enfin, la motivation du patient est sans surprise plus faible lorsque les difficultés socio-économiques, la multimorbidité et la dépression sont cumulées.



Conclusion

 

Qu’en penser en tant qu’orthophoniste ? C’est injuste et triste : l’accès aux ressources économiques et sociales est un élément clé de l’amélioration de la santé d’un patient. Un patient est d’autant mieux soigné et a plus de chances de conserver sa santé qu’il possède déjà ces ressources. L’autonomie du patient, son sentiment d’être responsable de sa santé et sa motivation ne sortent pas de nulle part : il faut leur donner les conditions et les moyens de les faire émerger. Les facteurs individuels entrent aussi en compte, tels la multimorbidité et la présence de troubles psychiatriques comme la dépression, mais là encore les facteurs socio-économiques modulent de manière puissante l’accès à la santé et au « self-management ».

 

Si tous les patients ne peuvent pas bénéficier des soins orthophoniques avec les mêmes chances au départ, nous pouvons cependant agir sur certains leviers très importants pour le patient comme l’augmentation du capital linguistique et des connaissances, l’amélioration de la littératie, et l’entrée d’une personne de confiance (nous !) au sein du réseau social de proximité du patient. Nous pouvons nous considérer comme des ouvertures dont peut parfois se saisir le patient pour, dans certains cas, déjouer les conditionnements et aider le patient à développer davantage de capacité de choix et d’actions concrètes pour améliorer sa santé, comme l’explique Guillaume dans son article sur l’empowerment en orthophonie. Pour finir, je citerai Louis Pasteur car ses paroles nous aident à situer notre action de soignants dans une représentation juste, qui ne tombe ni l’excès de puissance ni dans l’excès d’insignifiance : « Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours. »

 

 

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1 commentaire sur “Patient autonome : un mythe ?

  1. Francois H

    Un médecin neuro-psychiatre me disait que l’autonomie est une idée reçue de notre société. Il avait une vacation pour aider des éducateurs en charge de SDFs, et constatait les limites de ce principe. Les personnes après un parcours socio-éducatif sont logés en appartement, mais dépérissent vite à cause de la solitude dans leur deux pièces cuisine.

    Beaucoup de publics, comme les personnes âgées dépendantes, les personnes invalides ou handicapées ne seront jamais autonomes. C’est de l’accompagnement de nos situations de plus ou moins grande dépendance à chaque moment de notre vie qu’il est question.

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