Coronavirus : faut-il continuer ou suspendre les soins orthophoniques ?

14 mars 2020

 

Les professionnels de santé paramédicaux ont un rôle essentiel pour le quotidien de leurs patients, mais ceux qui n’interviennent pas en lien avec la prise en charge du Covid-19 ‑ comme les orthophonistes ‑ doivent-ils poursuivre leurs actes en adoptant les gestes barrières ou au contraire les suspendre afin de limiter au maximum la propagation du virus ?

 

Avant de réfléchir à cette question qui nous est aujourd’hui posée, faisons le point sur ce qu’est le Coronavirus Covid-19, les symptômes, les risques, les raisons de la gravité de cette crise internationale.

 

Le virus s’est manifesté pour la première fois en Chine, auprès de personnes qui s’étaient rendues au marché de Wuhan. Certaines pistes évoquent une administration par l’animal. Aujourd’hui, l’OMS parle de pandémie tant le nombre de personnes contaminées est important, plus de 150 000 comme le montre la carte interactive ci-dessous mise à jour en temps réel par l’Université Johns Hopkins.

 

 

Pourquoi en fait-on autant ?

 
Est-ce une simple « grippe » comme on peut le lire (trop souvent) sur les réseaux sociaux ?

 

Non. Tout simplement car le Covid-19 se propage beaucoup plus rapidement qu’une grippe classique, et que le taux de létalité est élevé pour les personnes souffrant de maladies chroniques comme l’hypertension ou le diabète, pour les personnes âgées, immunodéprimées ou fragiles. C’est grave, aussi, car une vague trop importante de cas simultanés provoquerait un encombrement dans les hôpitaux et mettrait en péril notre système de santé.

Le mode de transmission du Coronavirus est simple : ce sont les postillons. Ainsi, un contact direct avec une personne malade, un éternuement, une discussion, sont les vecteurs les plus forts du virus.

Les symptômes principaux sont la fièvre et les signes de difficultés respiratoires comme la toux ou l’essoufflement. Mais ces signes diffèrent selon les personnes. Les enfants et les jeunes seraient pour beaucoup des « porteurs sains », ce qui en ferait des vecteurs importants.

Il existe des gestes simples, ces fameux « gestes barrières », pour se protéger et protéger nos proches : se laver les mains très régulièrement, tousser ou éternuer dans son coude ou dans un mouchoir, saluer sans se serrer la main, éviter les embrassades, utiliser des mouchoirs à usage unique et les jeter.

 

 

Une mobilisation nationale

 

Face à cette crise, le Président de la République Emmanuel Macron et le Gouvernement ont pris des mesures pour freiner la propagation du virus. Ces mesures consistent à faire connaître les gestes barrières, à limiter les contacts au maximum (fermeture des écoles et universités, appel à la mise en place du télétravail pour les entreprises, appel à limiter les déplacements dans les transports en commun, interdiction des rassemblements, fermetures des lieux non indispensables comme les restaurants, etc.) ainsi qu’à libérer les places en hôpitaux (report des soins jugés moins prioritaires).

Deux priorités ont été données : protéger les personnes les plus vulnérables pour qui le Covid-19 peut être mortel, et protéger les personnels soignants, sans qui les prises en charges seraient impossibles. Sur ce dernier point, il a été décidé notamment de la mise à disposition de masques.

En ce qui concerne les professionnels de santé, le Ministère des Solidarité et de la Santé a passé des consignes en ce qui concerne l’utilisation des masques. Dans un communiqué de presse du 13 mars, il fait état de la mise en oeuvre d’une stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques à l’échelle nationale.

Ce communiqué précise que leur utilisation doit « bénéficier prioritairement aux professionnels de santé amenés à prendre en charge des patients COVID-19 (…) ainsi qu’aux services d’aide à domicile, pour garantir la continuité de l’accompagnement à domicile des personnes âgées et en situation de handicap. »

 

 

Comment les orthophonistes doivent-ils appliquer ces recommandations ?

 
Faut-il suspendre les prises en charge pour limiter les contacts, ou poursuivre en adoptant de manière stricte les gestes barrières ?

 

En tant qu’orthophonistes, nous sommes des professionnels de santé de proximité essentiels mais nous ne réalisons pas de soins d’urgence. Aussi, la poursuite des soins orthophoniques pourrait certes continuer à aider les patients atteints dans leur capacités de communication, mais elle risque malheureusement de contribuer à propager le virus et d’affecter les patients fragiles et leur entourage.

Le virus peut-il se transmettre pendant une séance ? Les gestes barrières et la distanciation sociale (un mètre minimum) permettent de limiter les risques mais pas de les éliminer. Une étude a montré qu’une exposition de plus de 15 minutes face à une autre personne dans un espace confiné augmente vraiment le risque de contamination. Nous savons aussi que le virus survit au minimum plusieurs heures sur les surfaces, est-ce possible de désinfecter tout notre matériel (livres, jeux, etc.) et le mobilier, faudrait-il alors tout manipuler avec des gants comme certains le recommandent ?

Toutes les précautions prises ne permettent pas hélas de contrôler tous les risques, juste de les limiter. On a beau avoir un stock de gel hydroalcoolique et de lingettes désinfectantes, tout ne peut pas être nettoyé entre chaque patient : boutons d’interphones, d’ascenseurs, digicodes, poignées des portes des halls d’entrée. Alors que les autorités appellent à limiter au maximum l’utilisation des transports en commun, il n’est pas raisonnable que les patients et les orthophonistes les empruntent comme si cela n’avait pas de conséquences. Les déplacements à domicile, en EHPAD et en foyers de vie pour se rendre chez nos patients sont autant d’occasions de contracter et propager le virus. Nous pouvons d’ailleurs être porteurs sains sans le savoir et transmettre le virus malgré toutes les précautions que nous avons mises en place.

Faudrait-il porter un masque ? Certains collègues orthophonistes ont pu retirer des masques chirurgicaux gratuitement en pharmacie, mais ces masques sont en nombre limité. Si tous les paramédicaux retirent ces masques, ne risque-t-on pas une pénurie au détriment des personnes prioritaires ? Sur ce point, le Ministre Olivier Véran a rappelé que l’utilisation des masques repose sur « le civisme et la responsabilité individuelle » et doit « bénéficier prioritairement aux professionnels de santé amenés à prendre en charge des patients COVID-19 » ainsi qu’à « la continuité de l’accompagnement à domicile des personnes âgées et en situation de handicap ».

On observe sur les réseaux sociaux que certains orthophonistes annoncent vouloir continuer les prises en charge, coûte que coûte, en renforçant l’application des gestes barrières et en portant des masques, tandis que d’autres appellent à la responsabilité collective et décident d’appliquer le confinement donc de suspendre leur activité jusqu’à ce que la crise soit derrière nous. Les avis sont donc très partagés.

 
Prise de position Labortho.fr

 

Il convient de limiter au maximum les prises en charge afin de réserver les stocks de masques aux personnes prioritaires et de limiter les contacts. Et en même temps, de se rendre disponible pour les prises en charge urgentes qui, si elle ne sont pas pratiquées, mettent en danger la vie des patients. Pour l’orthophonie, cela peut-être par exemple les troubles de l’oralité chez les nourrissons, la prise en charge des dysphagies graves, etc.

Beaucoup de professionnelles craignent les répercussions économiques à venir. C’est inévitable. Nous devrons y faire face et faire valoir notre droit à des compensations financières. Cette pandémie montre que des solutions alternatives devront émerger pour assurer plus efficacement la continuité des soins en cas de crise majeure, comme la téléorthophonie.

C’est la Nation tout entière qui est concernée. À nous, orthophonistes, de prendre notre part dans ce combat qui n’est pas individuel mais collectif. L’esprit de responsabilité et de solidarité doit primer. La mobilisation est nationale, étudiants et retraités médecins sont engagés. Les orthophonistes peuvent participer directement en rejoignant la réserve sanitaire.

 

Bon courage à toutes et tous dans cette période difficile.

Poursuivons la discussion dans les commentaires et sur les réseaux sociaux.

 

8 commentaires sur “Coronavirus : faut-il continuer ou suspendre les soins orthophoniques ?

  1. ISABELLE POLI

    Merci Raphaëlle, pour cet article clair sans détours et sans jugement qui donne des arguments favorisant la prise de décision; j’ai pour ma part adressé un message à tous mes patients dimanche pour suspendre les rdv; je maintiens le lien par whatsapp pour aides et conseils si besoin, j’allonge la durée de mise à disposition des protocoles d’entrainement à la maison…je réfléchis…!!
    La téléorthophonie serait une aide précieuse; c’est le bon moment pour réclamer le droit à l’usage de cette technologie dans les situations exceptionnelles. Que font nos représentants ????
    En attendant, raison, patience, ingéniosité, solidarité et surtout bonne santé à tous.

  2. François

    Merci Raphaelle de cette prise de position claire et courageuse. Après une nuit d’insomnie, j’ai pris la décision dimanche de fermer le cabinet jusqu’à nouvel ordre. Nous entrons dans l’inconnu et nous nous serrons les coudes pour passer cette épreuve. Bon courage et bonne santé à tous les orthos.

  3. JAC

    Merci pour cette présentation claire des enjeux posés par cette crise sanitaire et pour cet article qui peut aider à prendre une décision souvent difficile. Personnellement, cela m’a aidé à décider de fermer mon cabinet. C’est la seule façon de lutter efficacement contre cette pandémie et de protéger nos patients. En outre exerçant avec beaucoup de personnes âgées et/ou fragiles; c’était la seule décision responsable et cohérente à prendre, même si c’est angoissant. Il en va de notre responsabilité de soignant et notre civisme. Bon courage à toutes et à tous pour affronter cette période difficile et les conséquences de cette épidémie.

  4. rochereau brigitte

    je pense donc qu’il faut fermer les cabinets d’orthophonie en libéral compte tenu des risques importants de contagion car il n’est pas possible de désinfecter TOUT entre chaque patient (salle d’attente, jeux, plan de travail, poignet de porte, bouton d’ascenseur et bien d’autres choses encore, les patients entre eux dans la salle d’attente), le gouvernement devra trouver une solution comme pour beaucoup d’autres pour une indemnisation.

  5. Sté

    Dans quelle catégorie rentrons-nous dans la réserve sanitaire?

    • Corinne R.

      Oui, je me posais la même question, pourquoi ce lien?

  6. Chevallier

    Merci pour cette communication éclairée ; posant les enjeux réels de cette crise : se protéger tous en limitant les contacts avec chacun. Vive LA SOLIDARITE: nouvelle valeur 2020…non cotable en bourse!

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