Orthophoniste, mais encore ? (Partie 1)

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Résultat d’une étude menée avec 522 orthophonistes

 

Labortho remercie l’ensemble des 522 orthophonistes qui ont répondu au questionnaire « Orthophoniste, mais encore ? » entre le 10 juin et le 6 juillet 2016. A travers cette étude, nous avons cherché à identifier, à la suite de la lecture de La Vicariance d’Alain Berthoz, toutes les manières possibles de faire quelque chose, et en l’occurrence, le défi a été de réaliser un inventaire des différentes manières d’exercer le métier d’orthophoniste. Labortho s’est aussi intéressé à toutes les autres possibilités professionnelles pouvant être envisagées en parallèle de ce métier.

L’orthophonie, très globalement, met à notre disposition un cadre défini, délimité, grâce auquel nous pouvons accomplir certains actes : de manière très simplifiée, des actes destinés à aider des gens qui souhaitent mieux parler, manger, communiquer, penser. Ce cadre est redéfini assez régulièrement dans la nomenclature générale des actes professionnels. Il a même tendance à s’élargir en suivant les avancées scientifiques et sociétales. Comment les professionnels peuvent-ils explorer ce cadre dans toute sa richesse ? Est-ce un cadre qui leur permet d’être créatifs, un carcan de plus en plus rigide qui les sclérose, ou un peu des deux ? Les orthophonistes connaissent-ils toutes les manières possibles d’exercer leur métier ? Peuvent-ils avoir une marge de liberté dans la création de leurs propres conditions d’exercice ?

Chaque orthophoniste exerce son métier de manière unique. C’est pourquoi, le questionnaire était composé à la fois de questions fermées afin d’obtenir des chiffres et de mesurer l’opinion, mais aussi de questions ouvertes dans lesquelles la parole était libre et anonyme pour obtenir les visions plus personnelles sur les différentes manières d’exercer l’orthophonie.

La première partie du questionnaire a porté sur le mode d’exercice, ses particularités éventuelles, ses avantages et ses inconvénients, ainsi que la satisfaction liée à la rémunération. Notre hypothèse est que nous pouvons retrouver des vécus communs dans le métier d’orthophoniste selon le mode d’exercice (libéral, salarié, mixte), mais aussi que chaque professionnel a la possibilité de faire des choix personnels et uniques dans le cadre du métier d’orthophoniste.

 

La deuxième partie du questionnaire, à découvrir très prochainement, est centrée sur les envies et les possibilités d’exercer d’autres activités professionnelles liées de près à l’orthophonie, ou n’ayant rien à voir avec ce métier. Nous y verrons notamment que 64 % des orthophonistes envisagent d’exercer une autre activité professionnelle. Le cadre de l’exercice de l’orthophonie tel qu’il existe actuellement en France en juillet 2016 ouvre-t-il aux professionnels d’autres champs d’exploration, d’épanouissement, et de rémunération possibles ? Concernant la reprise d’études, comment se concrétise-t-elle ? Mène-t-elle à meilleure prise en charge des patients, une orientation vers la recherche, ou peut-être vers d’autres activités professionnelles ?

Les réflexions menées dans cet article pourraient se résumer à ces questions : comment les orthophonistes en France peuvent-ils explorer toutes les possibilités définies dans le cadre du métier d’orthophoniste et hors de ce cadre précis ? Quelles marges de liberté peuvent-ils conquérir ? Sur quels leviers peuvent jouer les orthophonistes pour continuer d’explorer toute la diversité de leurs compétences en tant qu’experts du langage et de la communication ?

 

Pour tenter de répondre à ces questions, nous allons à présent présenter notre analyse des résultats au questionnaire Labortho. Nous aborderons dans le présent article la question des possibilités offertes à l’intérieur du cadre du métier d’orthophoniste.

 

 
Orthophoniste : un métier à multiples facettes

 

Les possibilités qu’offre le cadre du métier d’orthophoniste sont extrêmement riches. Tous les témoignages font ressortir une réelle satisfaction quant au contenu de ce métier, malgré de nombreux à-côtés qui fatiguent et alourdissent le quotidien des professionnels, au point qu’une orthophoniste se sente « déçue » par ce métier peu reconnu, avec un « salariat pas du tout rémunérateur« , un « exercice libéral qui isole« , des patients « irrespectueux ». A l’inverse, Juliette* retient les aspects positifs de l’orthophonie : « J’adore notre métier! J’aime personnaliser les rééducations, tout mettre en œuvre pour arriver à obtenir un résultat et ce que j’aime surtout c’est voir les sourires quand les progrès apparaissent. » Florence est sur la même longueur d’ondes : « Je suis devenue orthophoniste à 40 ans après avoir été en entreprise pendant 20 … Et je suis fière et heureuse de pratiquer ce métier … Ne serait le problème de la rémunération, je pense toujours à quel point j’ai de la chance ! » Sophie n’en doute pas : « Si c’était à refaire, je re-signerai immédiatement« . Nous sommes enfin tout à fait d’accord avec Noëlle*, qui pense que « l’orthophonie est une profession extrêmement riche et passionnante à la seule condition que l’orthophoniste reste curieux(se) et créatif(ve) ».

A l’intérieur de ce métier, il est possible d’explorer à la fois les modes d’exercice, les lieux d’exercice, les pathologies qu’on prend en charge, les professionnels avec qui on choisit d’exercer, entre autres. N’étaient pas citées dans le questionnaire les possibilités de diversifier et de faire évoluer sa pratique grâce à la formation continue, ou encore la possibilité de former des stagiaires et d’échanger avec eux. Toutes les possibilités que nous évoquerons dans le cadre du métier d’orthophoniste -variables sur lesquelles le professionnel peut jouer sans qu’elles constituent une liste exhaustive- procurent à la pratique de l’orthophonie une richesse, une inventivité, une manière toujours unique d’exercer. Sachant que chaque orthophoniste a aussi son tempérament, et son passé professionnel qui lui donnent un point de vue très enrichissant sur sa profession d’orthophoniste. C’est pour cela qu’un « ancien » orthophoniste doté d’une riche expérience aura un point de vue différent d’un jeune diplômé, question à laquelle Murielle* nous a rendues sensibles : « Je suis à 2 ans de la retraite et n’aurais pas du tout répondu de la même manière il y a 20 ans car j’ai eu la chance d’explorer des formes d’exercice très différentes ».

 

Modes d’exercice

 

L’exercice libéral concerne une large majorité d’orthophonistes en France : cette grande proportion de libéraux est bien reflétée dans les réponses au questionnaire (73 %). Le salariat concerne 17 % des orthophonistes, et l’exercice mixte 10% d’entre eux. Il existe une grande flexibilité dans les modes d’exercice : 50 % des orthophonistes sont déjà passés par plusieurs modes d’exercice. En outre, 13 % prévoient un autre mode d’exercice dans les prochains mois ou les prochaines années, et 38 % l’envisagent « peut-être ». Cette souplesse dans le choix du mode d’exercice est un véritable atout du métier comme le pense Stéphanie : « Je quitte mon salariat dans un an, pour m’installer dans une maison de santé. Pour épanouissement personnel » !

 

Les orthophonistes en libéral

 

La majorité d’entre eux sont titulaires et n’ont pas de collaborateur (59 %), 21 % sont titulaires avec un ou deux collaborateurs, 16 % sont en collaboration et 3 % sont remplaçants. Le questionnaire ne comportait pas de question sur le travail avec un ou des associés au sein d’un même cabinet, ce qui est possible aussi.

 

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La moitié des libéraux interrogés (53 %) indiquent que leur exercice libéral comporte une ou plusieurs particularités : 33 % ont choisi de prendre en charge certaines pathologies ou types de patientèles de manière plus spécifique, le choix des horaires arrive en seconde position (15 %). Un lieu d’exercice particulier est parfois mentionné : à domicile exclusivement donc sans cabinet pour 2 % des libéraux (dans ce cas l’adresse professionnelle est l’adresse personnelle), un cabinet installé chez soi dans 7 % des cas, et un exercice à l’étranger chez 8 % des libéraux. Enfin, 3 % des libéraux indiquent une particularité « autre » (non mentionnée dans les choix), telle que « travailler à la campagne » pour Mathilde.

Les manières de prendre en charge les patients diffèrent. Une orthophoniste nous fait part d’une manière d’organiser ses prises en charge un peu différente pour certains patients à besoins particuliers (la pathologie n’est pas précisée): « domicile pour certains enfants; guidance parentale sans suivi régulier : rendez-vous toutes les 6 semaines ». Aliénor réalise un travail sur la « parentalité et des « réunions institutionnalisées avec autres libéraux ». Une autre orthophoniste a un statut particulier : « je travaille en vacations pour des assos et mon statut d’orthophoniste est hors cadre prévu par le conventionnement et pourtant complètement dans la NGAP ».

 

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Les avantages du mode d’exercice libéral sont avant tout la possibilité d’aménager son emploi du temps (91 %), la diversité des pathologies rencontrées (74 %), une meilleure rémunération (53 %) et la possibilité de pouvoir prendre en charge certaines pathologies plus particulièrement (43 %). Viennent ensuite d’autres avantages appréciés par les libéraux : travailler près de chez soi (31 %), travailler avec d’autres professionnels médicaux ou paramédicaux (29 %), et l’existence de plusieurs possibilités dans l’exercice libéral (pouvoir être titulaire, collaborateur, remplaçant) pour 18 % des libéraux. Chez 6 % des sondés, il y a d’autres avantages dans ce mode d’exercice. Plusieurs orthophonistes ont cité la liberté et l’indépendance : le libéral permet être « son propre patron« , l’ « absence de hiérarchie et de rapport de subordination« . La quasi absence de chômage est soulignée : Louisa* nous rappelle que « l’orthophonie reste une profession épargnée par la crise et (…) pense que c’est important pour les professionnels d’en prendre conscience ».

 

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Les inconvénients de ce mode d’exercice qui ressortent de manière très nette sont la lourdeur administrative (82 %). Adeline indique que l’exercice libéral comporte toutefois « moins de « lourdeurs » que dans certaines institutions (devoir traduire des choix cliniques en rentabilité pour les cadres par exemple… » Les difficultés administratives du libéral concernent « les relations avec l’URSSAF » (Sophie), « les soucis annexes (‘administratifs, financiers, insécurité financière, exigences diverses (écoles, parents…) qui fatiguent« . Sont beaucoup cités le manque de temps pour tout faire et tout bien faire (76 %), et le montant des charges (74 %). Une orthophoniste ressent de plus en plus le libéral comme un carcan : « Face aux charges qui augmentent, à la rémunération qui stagne lamentablement, et à la lourdeur administrative et autres exigences qu’imposent le libéral, j’envisage sérieusement de diversifier mon activité. Avec les nouvelles lois (santé), nous ne pouvons même plus décider si oui ou non nous imposons une indemnisation (réunions, dossier, absences…). Nous sommes dans une prison… Pas même dorée. J’aimerais voir un avenir meilleur pour notre profession mais je crains le pire. L’état ruine notre système de santé. »

 

Le montant de la rémunération est évoqué comme un inconvénient par 45 % des orthophonistes libéraux. D’ailleurs, si 46 % d’entre eux sont plutôt satisfaits et 5 % très satisfaits de leur rémunération, 42 % se disent peu satisfaits et 7 % pas du tout satisfaits. Alice fait une remarque que nous jugeons très légitime : « la revalorisation du bilan et (du) tarif selon le temps passé me semble essentielle ». Myriam évoque aussi un « inconvénient qui n’a pas été cité concernant l’exercice en libéral : le fait de devoir, contrairement au salariat, gérer des périodes sans entrée d’argent (vacances du thérapeute et des patients, absences prévenues ou non, réunions pédagogiques dans les écoles, formations…) ». Claire ajoute : « le problème de l’exercice libéral est que notre activité est uniquement liée à notre présence. Il est difficile, voire impossible de prendre un remplaçant (notamment si on exerce à un autre endroit). Et la loi sur les collaborateurs n’encourage pas à travailler avec quelqu’un... »

De plus, le manque de reconnaissance du métier d’orthophoniste est évoqué par 76 % des libéraux, ce qui est un résultat très élevé. D’ailleurs, reconnaissance et salaire vont de pair, comme l’expriment certains orthophonistes. Isabelle évoque notamment « le fait de ne pas être rémunéré lorsqu’on se rend à des réunions (à l’école par exemple) pour le patient, et les comptes rendus de bilans (environ deux heures sans compter le temps de passation du bilan et l’analyse) parfois non lus par les médecins, et trop souvent considérés comme des documents administratifs. Les demandes de « bilan pour un tiers temps » augmentent d’année en année, il serait bon de rappeler que nous sommes une profession de soin, nous n’avons pas à rédiger des documents pour les écoles : les comptes rendus de bilans sont des documents médicaux, et non administratifs. Il existe trop de dérives à ce sujet (de la part des établissements scolaires, aussi bien que des praticiens de santé) ». Une autre orthophoniste précise : « Nous manquons d’AMO plus proches de la réalité : (il faudrait instaurer un) tarif correct pour les bilans qui devrait tourner autour de l’AMO 100 (la plupart durant deux heures + analyse des tests et écriture du compte rendu de bilan + AMO pour le suivi et la mise en place des aménagements scolaires et surtout pour les réunions indispensables. » Isabelle évoque aussi les « difficultés à faire comprendre l’aspect légal de la rémunération de nos séances pour CMP, CMPP, SESSAD… Notre métier est passionnant et mérite le respect des autres professionnels. » Anouk nous livre aussi son témoignage : « Pas reconnues? Nous? Lors de la dernière ESS à laquelle j’ai participe (bénévolement comme vous l’indiquiez), je me suis entendue dire que je n’étais pas apte à poser un diagnostic de dysphasie, que c’était au neuropédiatre de le faire. Et que de toutes façons pour les dossiers MDPH, mon avis ne comptait pas car je ne voyais l’enfant que ponctuellement… j’ai donc refusé de participer à une autre équipe éducative puisque je ne sers à rien…. »

De plus, 41 % des libéraux indiquent éprouver des difficultés à se coordonner avec les autres professionnels et 22 % mentionnent des difficultés concernant les relations avec les parents, les familles ou certains patients. La solitude est citée par 29 % des libéraux, mais, comme le précise Claire*, « la solitude en libéral c’est à la fois un inconvénient et un avantage. Le plus difficile n’est pas tant la solitude, que le fait de devoir s’autoévaluer seul(e), se remettre en question. Heureusement en cas de doute, les collègues du secteur sont consultables par le biais d’un mail groupé, ce qui permet de remédier au « problème » de la solitude ».

 



 

Les orthophonistes salariés

 

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L’exercice salarié concerne 17 % des orthophonistes ayant répondu au questionnaire Labortho. Les lieux de travail sont très diversifiés : IME, SESSAD, Unité d’Enseignement Maternelle, Centre d’accueil de jour, Etablissement et service d’aide par le travail, Institut d’éducation motrice, SSR neurologie adulte, CAMSP, Foyer d’accueil médicalisé et centre d expertise autisme, Centre de santé mentale, EEAP et SSR pédiatrique, CAP, Hôpital de jour psychogériatrique, Centre Hospitalier, Centre de gérontologie public, écoles primaires, commission scolaire (au Canada), CRRF, hôpital (CHU, CHRU, pôle MPR, USINV), CMPEA, Centre de réadaptation neurologique, SSR Spécialisé neuro privé, service de pédopsychiatrie, SSEFS (Service de soutien à l’éducation familiale et à la scolarisation pour enfants sourds), Centre pour enfants pluri-handicapés, Centre Mère-Enfant en Nouvelle-Calédonie… Souvent, les orthophonistes salariés travaillent dans deux structures différentes.

 

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Le salariat comporte certains avantages non négligeables. Plusieurs réponses étaient possibles pour cette question. En premier vient le travail en équipe (94 %), puis le fait d’avoir des horaires fixes et la durée du travail plus facilement maîtrisée qu’en libéral (74 %), la possibilité de prendre en charge des pathologies plus spécifiques ou plus lourdes qu’en libéral (70 %), les avantages sociaux (congés payés, retraite, comité d’entreprise, tickets restaurant…) pour 60 % des orthophonistes, l’accès aux formations (20 %) et enfin le salaire (2 %). Marie nous fait part de la satisfaction qu’elle éprouve d’être libérée des joies administratives du libéral : « le gros avantage selon moi est l’absence totale de Carpimko, d’URSSAF, de mutuelles et de cartes vitales. Plus d’administratif, plus de compta, seulement de l’orthophonie ! ».

 

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Parmi les inconvénients du salariat, on retrouve chez une large majorité des orthophonistes le problème du montant du salaire (80 %). Il se trouve que 51 % des orthophonistes salariés se disent peu satisfaits de leur salaire, 24 % pas du tout satisfaits. Pour résumer, 75 % des orthophonistes salariés ne sont pas satisfaits de leur salaire. Une partie de la profession est plutôt satisfaite du salaire qui leur est proposé en salariat (21 %), et 4 % des orthophonistes salariés se disent très satisfaits de leur salaire (dont une personne travaillant en Suisse). Prenons le témoignage d’Élodie qui rencontre le problème suivant : elle attend encore sa titularisation à l’hôpital public. « J’aurais dû être titularisée en octobre 2014 mais la direction n’a pas réussi à constituer un jury et n’a jamais mené au bout la procédure, sans m’en informer plus que ça. On me promet de nouveau la titularisation dans l’année. » On peut supposer qu’il y aurait davantage d’orthophonistes salariés en France si le salariat était mieux rémunéré. Pascale résume le problème ainsi : « Le travail en institution est très intéressant malheureusement le salaire est très peu motivant. » Ce point de vue est partagé par Lætitia, qui nous a confié : « Si le salariat était mieux rémunéré j’aurais opté pour un mode d’exercice mixte ».

L’absence d’attractivité du salaire des orthophonistes est tel que certains quittent leur poste salarié pour travailler en libéral afin d’avoir une rémunération correspondant à leur projet de vie. C’est le choix qu’a dû faire Anne* : « J’ai un salaire de 1400 euros net. Je n’envisageais pas de changer de mode d’exercice car je me plais réellement à l’hôpital. Une opportunité de collaboration s’est présentée très près de chez moi. Pour un salaire quasiment doublé mais des pathologies qui me plaisent moins… Le choix a été vite fait car avec mes projets de vie, le salaire n’était vraiment plus suffisant. »

Les autres désavantages cités sont les contraintes liées à la hiérarchie (liens de subordination, problèmes d’organisation dans la structure, incohérences, mauvaise ambiance) pour 67 % des salariés. Le manque de reconnaissance de l’orthophonie (43 %) est aussi problématique, même s’il est moins cité qu’en libéral (rappel : 76 %) et peut parfois nuire à l’intérêt des patients, comme en témoigne Marianne* : « Il existe vraiment très peu de reconnaissance de l’orthophonie en structure salariée… ne serait-ce que d’observer la grille salariale hospitalière et la volonté du gouvernement de se désintéresser des revendications singulières des orthophonistes!!!!! cela impacte sur les postes qui sont délaissés, sur la liste d’attente qui s’accroît faute d’orthophonistes, c’est affligeant. La reconnaissance au sein des équipes n’est pas à la hauteur des savoir-faire de l’orthophoniste, il y a encore une vue réductrice des compétences des orthophonistes (par exemple, uniquement correction des mots et de la syntaxe). Néanmoins, il y a une immense attente des familles qui réclament très tôt de l’orthophonie pour les enfants alors que les médecins du service tendent à prescrire après 4 ans. J’estime qu’une indication d’orthophonie précoce (éveil au langage, socles de compétences à la communication, etc.) s’avèrerait très utile pour les enfants en bas âge. »

Les orthophonistes salariés sont aussi confrontés au manque de temps pour répondre à toutes les demandes (39 %), à du travail administratif à faire en plus des séances (20 %), à l’existence d’un autre inconvénient qui n’est pas proposé dans les réponses (4%), et la contrainte des horaires imposés est citée par 2 % d’entre eux.

Enfin, Odile nous fait part de son impression sur la manière dont les orthophonistes salariés peuvent être vus par les autres professionnels : « Le salariat n’a pas bonne réputation et cela en dehors du salaire (plutôt inacceptable en CC66, 1300 euros à peine en début de carrière). Il y a beaucoup de façons différentes d’exercer en salariat, parfois avoir une grande liberté d’exercer (modalités, indications, organisation des horaires, de l’emploi du temps). Plus un travail riche auprès des équipes, des partenaires, l’impression d’être vraiment utile et d’aller là où personne ne va. J’ai l’impression que beaucoup d’orthos se placent en professionnel « supérieur » par rapport aux éducs, et non vraiment comme un partenaire d’échange. Bref, j’ai l’impression que l’on est une profession, tout comme les instits, assez « solitaire » et individualiste (du fait de nos modes de travail) et qu’on a parfois du mal à faire avec les autres… Peut-être qu’il y a là aussi des lacunes dans notre enseignement…. »

 

L’exercice mixte

 

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L’exercice mixte (salariat et libéral) concerne 10 % seulement des orthophonistes ayant répondu au questionnaire. Parmi eux, 50 % sont titulaires (sans collaborateur) et salariés, 29 % sont collaborateurs et salariés, 15 % sont titulaires (avec un ou deux collaborateurs) et salariés, 4 % sont remplaçants et salariés, et 2 % ont un autre statut. Là encore, les lieux d’exercice en salariat sont très diversifiés : CAMSP, hôpital public, établissement pour personnes handicapées (autisme, polyhandicap, déficients visuels), SESSAD, centre municipal de santé, clinique multidisciplinaire privée, CMPP, IEM, ITEP, centre de rééducation fonctionnelle en neurologie adulte, Ehpad, CMPEA, centre pluri et Haute Ecole (Bruxelles)… Enfin, 2 % ont un autre statut : c’est le cas de Catherine. Cette orthophoniste belge est « coordinatrice et fondatrice d’un centre pluridisciplinaire et maître de formation en pratique professionnelle ».

Les avantages de l’exercice mixte les plus plébiscités (plusieurs choix étaient possibles) sont la possibilité de travailler avec d’autres professionnels médicaux et paramédicaux (83 %). Près de 76 % des orthophonistes ayant choisi l’exercice mixte trouvent que le travail en équipe est facilité, notamment dans le salariat. Ensuite, on trouve la possibilité de prendre en charge certaines pathologies qu’on rencontre peu en libéral (68 %). Hermine* évoque la possibilité de « faire des prises en charge de groupes, qui ne sont pas favorisées par notre convention actuelle en libéral ». La diversification des pathologies rencontrées (47 %), et les avantages sociaux du salariat (45 %) sont souvent cités comme des avantages. Le fait de ne pas s’essouffler dans un seul mode d’exercice pour garder la motivation est cité dans 49 % des réponses, quoique cet aspect soit aussi vu comme un inconvénient. En effet, l’investissement professionnel de l’orthophoniste se retrouve partagé entre deux lieux différents. Camille regrette ainsi de « ne pas être « complètement » dans un lieu d’exercice, mais qu’à mi-temps dans chaque », et Hermine* déplore la « perte de temps et d’énergie à passer d’un rythme à un autre ». Les autres avantages cités sont la possibilité d’aménager son emploi du temps (21 %), la rémunération (11 %), la possibilité de travailler près de chez soi (4 %), et un autre avantage non cité dans les choix (11 %).

Les deux principaux inconvénients de l’exercice mixte sont, à égalité (59 %), la lourdeur administrative du libéral et/ou du salariat ainsi que la difficulté de rendre rentable l’exercice libéral. Armande* évoque des difficultés à concilier l’emploi du temps de l’exercice mixte et la nécessité de gagner sa vie : « trop d’heures de travail lorsqu’on cumule salariat et libéral, j’aurais voulu garder une demi-journée pour m’occuper des compte-rendus de bilan, de la paperasse etc… Impossible financièrement… » Vient ensuite la diminution de la souplesse dans l’organisation du temps de travail (49 %). Enfin, 19 % des orthophonistes citent un autre inconvénient non proposé dans les choix, comme Marion qui évoque des « difficultés à faire admettre l’exercice mixte par les RH à l’hôpital ». Le fait de travailler loin de chez soi est évoqué comme un inconvénient par 8 % des orthophonistes mixtes.

Parmi les orthophonistes pratiquant l’exercice mixte, 4 % sont très satisfaits de leur salaire, 36 % sont plutôt satisfaits, 40 % sont peu satisfaits et 20 % ne sont pas du tout satisfaits. Ce qui porte à 60 % le nombre d’orthophonistes mixtes qui ne sont pas satisfaits de leur salaire ! Nous pouvons au final constater que les orthophonistes libéraux sont les plus satisfaits de leur salaire, suivis par les praticiens mixtes. Les orthophonistes salariés arrivent loin derrière. Caroline*, en libéral et salariée dans un CHU, déplore l’écart qui existe entre les compétences des orthophonistes et leur salaire en France, où l’on peut « avoir une expertise et crever de faim »

 



 

L’orthophonie vue de l’étranger

 

Un des nombreux avantages de l’orthophonie tient, comme nous le rappelle Lola*, dans le travail sur la langue qui donne la possibilité d’ « être mobile et pouvoir trouver un emploi rapidement et facilement partout où il y a des Français ». Nous remercions les orthophonistes exerçant à l’étranger ou dans les DOM-TOM d’avoir apporté leur point de vue extérieur à la France métropolitaine. Il en ressort qu’à l’étranger, le salaire en salariat « est beaucoup plus attractif qu’en France ». Gaëlle sait ainsi ce qu’elle ne veut pas : « Il est certain que je n’exercerai pas en salariat de retour en France, le salaire y est dérisoire. »

La Suisse et le Canada font rêver de ce point de vue. Anne nous fait part de son expérience : « j’exerce en Suisse, modalités différentes et intéressantes : tarif horaire quelle que soit la pathologie. Possibilité de ne prendre QUE des enfants de 3 à 21 ans. Cabinet de plusieurs logopèdes. » Témoignage de Flora, orthophoniste au Canada : « C’est sûr que la réalité est complètement différente au Québec. Nous sommes bien payées et très bien considérées ici. Je me réinstalle en France cet été, avec le défi de trouver du boulot et découvrir la réalité des orthos en France… » Qu’en est-il du côté belge ? Une orthophoniste aimerait savoir s’il y a « un peu plus de liberté d’action en Belgique ». Nous ne pouvons répondre à cette question, mais nous invitons les logopèdes ou les orthophonistes françaises ayant travaillé en Belgique à se manifester à ce sujet. Il est aussi possible de travailler en Asie, comme Marine, qui témoigne : « Je travaille dans un hôpital thaïlandais qui me détache une partie de la semaine au lycée français. Les années d’ancienneté dans l’entreprise sont valorisées et les avantages sont intéressants. Ainsi que le plaisir de faire partie d’une entreprise locale. Toutefois, travailler dans une structure locale c’est accepter les contraintes du pays (très très peu de congés, nécessité d’un visa et d’un « work permit » spécifique,…). » En outre, Marine pratique la téléorthophonie.

 

Résumé

 

Voici quelques leviers sur lesquels l’orthophoniste peut jouer pour exercer son métier de la manière la plus libre et créative possible :

  • le choix de son mode d’exercice (sachant que plusieurs modes d’exercice sont possibles en même temps)
  • le choix de son lieu d’exercice : France métropolitaine, DOM-TOM, à l’étranger
  • le choix des pathologies sur lesquelles les orthophonistes veulent s’orienter

D’autres questions pourraient être abordées, comme la possibilité d’exercer dans ou hors cadre de la NGAP lorsqu’on est en libéral. Comme le suggère une autre collègue, il serait intéressant de « connaître les façon de pratiquer les séances (au bureau, en groupe, sans bureau mais sur un grand tapis, participation corporelle, niveau d’implication des parents et mille autres choses encore) ». Les formations qui ont changé la pratique des orthophonistes pourraient aussi faire l’objet d’une étude.

Dans la partie 2 publiée très prochainement, nous exposerons les résultats du questionnaire au sujet des autres possibilités professionnelles liées ou non à l’orthophonie.

 

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Notes :
– Les prénoms cités avec une astérisque (*) ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des participants.
– Pour citation de cette étude, merci de bien vouloir indiquer la source :
« Étude Labortho.fr auprès de 522 orthophonistes (juin/juillet 2016) »

6 commentaires sur “Orthophoniste, mais encore ? (Partie 1)

  1. Isabelle Peltier

    Très bon travail.
    Je suis actuellement orthophoniste à temps plein dans un SSR (MPR) en région parisienne. J’ai des stagiaires, voudrais faire plus de recherche et enseigner.
    J’hésite à faire du libéral. Mais concrètement, je n’ai aucun idée du salaire annuel, mensuel, des charges, du temps administratif ? Quelqu’un pourrait-il m’éclairer ?
    Merci beaucoup.

  2. secours.hamon@orange.fr

    Non, je ne crois pas dans son intégralité. Dans ce projet des orthos ont travaillé avec des sociologues (mais il y avait pas mal de monde, madame Le Feuvre était en supervision). Le livre est toujours disponible, ici sur une grande librairie en ligne.
    https://www.amazon.fr/M%C3%A9tier-dorthophoniste-Langage-genre-profession-ebook/dp/B00PYEEC8I/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1468868479&sr=8-1&keywords=orthophoniste+m%C3%A9tier
    Il me semble que vos conclusions et les observations recueillies sont proches.
    Pour les relations relativement difficiles avec les patients et le manque de reconnaissance (attestations, etc…), j’ai l’impression que le problème s’est accentué depuis une dizaine d’année (date où a été faite l’étude).
    Bravo encore pour votre investissement… peu commun !

  3. Du parc clémence

    Merci beaucoup pour cette analyse très enrichissante !! Quel travail !

  4. François Hamon

    Je suis impressionné de cette entreprise… Etonnante cette Raphaelle ! Elle me rappelle une étude universitaire réalisée il y a quelques années à Lyon et appelée Calliope si je me souviens bien. Elle était supervisée par la sociologue Nicky le Feuvre. Les conclusions ont été publiées dans un ouvrage collectif appelé « Le métier d’orthophoniste » aux éditions de l’ENSP. Les aspirations et conditions d’exercice des orthos dans différents pays d’Europe étaient parfaitement exposées.

    • Merci, et l’étude que vous citez me semble très intéressante. Il faudrait voir si elle est disponible sur internet.

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