2015, année de la liberté ?

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Janvier 2015 : il fait froid, il pleut, et nous pleurons encore Charlie, mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras et fermer les yeux. Être libre et défendre la liberté d’expression, cela commence d’abord par un petit travail sur soi-même : il faut faire le tri, jeter à la poubelle tout ce qui encombre les placards de notre cerveau et recycler ce qui peut l’être ! Pour cela, je propose que nous réfléchissions ensemble aux moyens de développer ce qu’on appelle la pensée divergente. C’est cette forme de pensée qui nous ouvre les portes de l’inconnu que l’on porte toujours en soi, celle qui nous donne à voir un nouveau monde alors que toutes les terres émergées ont déjà été explorées, celle qui nous montre que d’autres voix peuvent se faire entendre, celle qui nous dit que tout est encore possible… Il suffit juste d’essayer, et nous verrons bien. Quelques pistes de réflexion.

 

S’interroger sur ses relations

Jim Rohn, coach en relations interpersonnelles, estime que notre personnalité serait largement conditionnée par notre entourage, au point que ce que nous sommes correspondrait à la moyenne des cinq personnes avec qui nous passons le plus de temps.

Si passer du temps avec des personnes que nous apprécions et qui pensent comme nous est un puissant moteur pour la confiance en soi, cela présenterait aussi un sérieux désavantage. En effet, être entouré de personnes uniquement positives à notre égard aurait l’inconvénient de nous soustraire aux critiques salutaires qui nous permettraient de progresser dans la vie. La capacité de faire face à la critique et la volonté de s’y confronter serait même une caractéristique des personnes ambitieuses qui cherchent constamment à s’améliorer. D’ailleurs, on peut souvent constater que plus on atteint un niveau de succès élevé, plus on doit faire face à des détracteurs : «  the more successful you become, the more criticism you’ll face ».

Cette vision des choses est sûrement un peu réductrice mais elle a le mérite de nous faire réfléchir sur notre propre vie. On peut se demander : Les personnes avec qui je passe le plus clair de mon temps influencent-elles ma façon de penser, et jusqu’à quel point ? Suis-je obligé de penser ce que je pense ? Suis-je entouré uniquement de personnes avec qui je partage les mêmes idées ? Est-ce que je fréquente des gens qui sont capables de me critiquer de manière constructive ?

 

S’interroger sur le sens de la vie avec Sartre

La Nausée (Sartre)Prenez La Nausée de Jean-Paul Sartre. Le personnage principal de ce livre, Antoine Roquentin, habitant provisoire d’une petite ville bourgeoise de province en bord de mer, est souvent pris d’un mal étrange qu’il appelle « la nausée ».

Face à un homme, à un arbre, à la mer, mais en fait face à toute vie, Antoine éprouve  le dégoût profond de celui qui prend soudain conscience d’exister. Pour Antoine, exister, c’est accaparer l’espace avec son corps, c’est prendre de la place sur Terre sans raison (toujours trop de place), c’est s’exhiber sans pudeur, c’est être voué à la dégradation de son propre corps, mais c’est aussi influencer autrui et s’engager dans le vaste monde. La vie jouit d’elle-même et se détruit en même temps, mais le pire, c’est qu’elle ne le sait même pas, comme tous les hommes qu’elle a enfantés. Seul Antoine le sait, et c’est pour cette raison qu’il est à jamais seul. Jeté dans le monde, contraint d’exister, il ne peut le supporter. Alors il va tout faire pour se défaire de l’illusion que son corps a façonné pour lui depuis sa naissance.

Sans arriver jusqu’à de telles extrémités, nous pouvons nous inspirer du personnage d’Antoine et prendre conscience que nous existons, tout simplement. Quand on y pense, il y a une seule chose incroyable dans la vie : qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. Nous pouvons nous demander : Ai-je vraiment conscience d’exister ou vis-je ma vie en mode pilotage automatique? Est-ce que je ressens de l’indifférence envers la vie ? Suis-je comme Antoine qui refuse de choisir et de s’engager concrètement dans l’existence ? Qu’est-ce qui me donne le sentiment d’exister? Quelles émotions j’éprouve lorsque j’existe vraiment ? Vis-je pleinement ces émotions ?

 

S’interroger sur sa liberté

En philosophie, la question de la liberté humaine est fondamentale. L’homme s’est toujours posé des questions existentielles dans le but de briser ses chaînes. La lutte pour la liberté qui va de pair avec le développement de la conscience existe depuis la première bactérie apparue sur Terre. L’homme cherche encore aujourd’hui à se libérer aussi bien de la nature que de lui-même ou des préjugés liés à sa culture, son régime politique, sa famille, et même ses propres peurs…

Sartre nous dit que nous ne sommes libres que dans un second temps, par défaut en quelque sorte, car nous sommes d’abord jetés dans la vie sans l’avoir choisi : notre liberté dépendra de la manière dont nous choisissons dans un second temps de mener notre vie. Merleau-Ponty nous dit quant à lui que nous ne sommes libres que dans certaines limites, celles imposées par notre corps, via lequel nous accédons à des « champs perceptifs ». Enfin, le neurologue Damasio nous a montré scientifiquement que tout choix rationnel s’accompagne d’un état émotionnel, émotion qui trouve son origine tant dans le corps (modifications physiologiques, neuronales) que dans la culture à laquelle nous appartenons. Ainsi nous devons accepter à la fois la condition humaine liée à notre naissance (Sartre), les possibilités offertes par notre corps (Merleau-Ponty) et les états émotionnels (Damasio) qui nous rattachent encore au corps et à notre culture,  pour ensuite  accéder à la liberté. Celle-ci est donc secondaire : nous ne sommes pas libres, nous le devenons.

 

Tuer le temps !

 

Nous ne vivons pas en dehors de notre condition d’être humain dont le temps d’existence sur Terre est limité, ni en dehors de notre corps qui délimite l’espace auquel nous pouvons accéder. Sans les yeux, nous ne connaîtrions pas les couleurs, mais nos capacités de traitement de ces dernières se limitent à certaines fréquences (nous ne percevons pas l’infrarouge ni l’ultraviolet). De même, nous n’existons pas en dehors des conditions socio-culturelles dans lesquelles nous baignons. Nous ne pouvons pas échapper à notre condition humaine. Changer de ville ou changer de pays ne pourra que nous replonger dans d’autres manières de penser et de connaître, toujours humaines, toujours limitées.

Mais ce qui est extraordinaire, c’est la faculté d’abstraction des êtres humains : malgré notre condition limitée, nous pouvons accéder à l’universel et vouloir le Bien, le Beau et le Bon pour tous les autres. Mais pour cela, il faut avoir l’esprit clair et dégagé de la poussière de la peur, des préjugés, de la négativité qui nous entoure parfois, et de nos pensées parfois trop rationnelles et trop obéissantes… Nous sommes trop souvent endormis, habitués à vivre dans un monde qui nous convient plus ou moins mais auquel nous consentons à faire des concessions. Nous nous réveillons souvent un peu tard :  c’est quand notre vie est menacée que nous prenons conscience de manière évidente qu’elle est précieuse, et jamais tout à fait acquise. C’est la même chose pour la liberté : s’il n’y avait pas eu les tristes événements liés à Charlie Hebdo, nous ne serions pas descendus spontanément  dans la rue pour revendiquer la liberté d’expression… La prise de conscience de la liberté et sa revendication ont souvent besoin d’un élément déclencheur, ce qui nous montre qu’être libre nécessite toujours un arrachement à une condition confortable. La liberté est toujours à conquérir.

Nous pouvons nous demander : en quoi suis-je vraiment libre ? Ai-je conscience des limites et des possibilités qu’offre mon corps ? Les ai-je acceptées comme conditions pour pouvoir les transcender, les dépasser et exercer ma liberté seconde, celle du choix ? Comment puis-je agir en tenant compte de mes limites physiques et/ou psychiques, de mes possibilités, de mes rêves ? Quelles émotions j’éprouve quand je suis libre ? Si la liberté se confond pour moi avec la joie d’exister, qu’est-ce que me rend vraiment joyeux ?

 

S’engager : écriture et liberté

Comment répondre à toutes ces questions ? Nous pourrions le faire par oral, en se parlant à nous-mêmes, mais très vite nous nous rendrons compte que nos paroles si précieuses nous fuient. Nous pouvons à l’inverse donner à nos réflexions un ancrage solide, un refuge qui soit à la fois une base d’où jaillit l’expression de soi vers le monde telle une fusée exploratrice. Comment ? Il nous faut prendre le clavier ou la plume, ou le stylo bille, ou le crayon à papier pour les plus modestes d’entre nous. Écrire, penser et agir dans le monde deviennent alors des actions complémentaires. Écrire est le meilleur moyen de se mettre en situation d’expérience, de prendre conscience de ce que nous sommes, d’explorer des chemins nouveaux et de les exposer aux autres. Car cette pulsion de liberté qui nous habite est en même temps un besoin de se faire reconnaître par autrui comme être libre. Nous devons toujours lutter pour qu’autrui ne nous considère pas comme objet mais comme sujet. Écrire et exposer ses écrits comporte donc toujours une dimension intersubjective : nous ne sommes libres que si les autres reconnaissent notre liberté.

 

No limit ?

 

Dans cet article, nous avons voyagé en pensée avec des philosophes amoureux de la sagesse mais surtout de la liberté. Puissent-ils nous permettre de nous poser les bonnes questions et de faire les bons choix pour avancer avec l’esprit ouvert et libre sur les chemins de l’année 2015. C’est une année particulière où nous aurons plus que jamais en tête le mot « liberté ». Faisons-le résonner avec « créativité » de sorte qu’il devienne chaque jour une réalité.

 

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