Langage : facteur d’union ou de division ?

 

La multiplication des attentats terroristes m’attriste profondément. Comment en est-on arrivés là alors que nous partageons tant de choses entre êtres humains, dont le langage qui est commun à tous ?

Les orthophonistes connaissent le pouvoir que confère le langage aux êtres humains. A travers son actualisation par la langue, il nous permet de nous exprimer et de comprendre autrui. C’est aussi un tremplin pour le développement de la pensée, du raisonnement. Il construit notre vision du monde et la réalité dans laquelle nous vivons. « La langue d’une société humaine donnée organise l’expérience des membres de cette société et par conséquent façonne son monde et sa réalité. » (Benjamin Whorf)

 

« C’est le langage qui divise »

 

Cette citation de Patrick Quignard, écrivain français, révèle que le langage est un outil à double tranchant. Il est d’abord nécessaire à la constitution d’une société. En effet ses membres doivent pouvoir communiquer et se coordonner pour mener à bien des projets communs. Le langage est l’outil le plus efficace et le plus économique pour y parvenir.

Si le langage est une condition nécessaire pour assurer la paix civile (le code civil et le code pénal sont construits avec des mots), il est loin d’être une condition suffisante. Les terroristes partagent bien souvent la même langue que leurs victimes. Le langage peut même être un facteur de division : en témoigne la diversité des langues et difficultés à se comprendre si on ne partage pas la même langue.

« Le langage est aussi une source de malentendus » (Antoine de Saint-Exupéry). Pire, les ambiguïtés contenues dans les mots peuvent conduire à des meurtres de masse. Ce fut le cas au Japon pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le Président Truman avait demandé aux Japonais de capituler sous peine d’une « destruction massive et totale ». Les Japonais ont répondu par le mot « Mokusatsu »  qui peut avoir trois significations : « ignorer » , « sans commentaire » et plus rarement « traiter avec mépris ». Il est plus probable le Japon ait voulu répondre « ignorer » et « sans commentaire », d’autant plus qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence de la bombe atomique. Pour d’obscures raisons, les Américains ont choisi de retenir la dernière signification de ce mot. On connaît tous la fin tragique de l’histoire. On peut remarquer que les Américains n’ont pas demandé plus de précisions aux Japonais. Peut-être que s’il y avait eu un réel échange, l’ambiguïté aurait-elle été levée et la vie de centaines de milliers de Japonais aurait-elle été épargnée ? Roland Barthes a dit : « Tout refus du langage est une mort ».

 

 

L’union dans le dialogue

 

Le langage peut être source de destruction lorsque le dialogue en est absent. Certaines personnes ne seront hélas jamais accessibles au dialogue:  c’est le cas des terroristes absolus, ceux qui sont prêts à donner la mort à autrui et à eux-mêmes pour une cause, sans qu’il soit possible de négocier quoi que ce soit avec eux. 

Heureusement, le langage est aussi créateur. Le langage unit les participants d’un dialogue dans la construction d’une pensée commune. Pour l’expliquer, Maurice Merleau-Ponty a recours à la métaphore du tissage : « Dans l’expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu ». Dialoguer suscite également des pensées nouvelles et inattendues : « l’objection que me fait l’interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder ». Le dialogue est un acte de langage constructif d’une réalité commune où la discussion et l’échange sont possibles.

Mais dialoguer, rappelle Platon, suppose le respect de certaines règles : savoir écouter, prendre la parole à tour de rôle, être de bonne foi, ne pas se contredire, être prêt à se remettre en question… Le langage n’est, en soi ni un facteur d’union ni un facteur de division : cela dépend de la manière dont on s’en sert. Le respect d’autrui et la volonté de dialoguer doivent fonder notre utilisation du langage.

 

Et cela commence par une bonne communication !

 

A lire sur le même thème,
un article écrit après l’attentat de Charlie Hebdo :
2015, année de la liberté ?

 

Laisser un commentaire